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14/04/2008

L’imagination en liberté

     Cyrano n’était pas du tout celui que l’on pensait. Sa passion platonique pour sa cousine Roxane ? Une invention toute pure ! L’auteur loue « les jeunes garçons » qui, pour l’endormir, lui chatouillaient les cuisses « avec minoteries et délicatesse ». Sa mort au crépuscule dans les jardins d’un couvent parisien ? Une métaphore romantique. Cyrano mourut à trente-six ans chez un cousin à la campagne. Cependant, Rostand ne ment pas, il édulcore. Cyrano avait bien été assommé dans une rue parisienne sans qu’on sût si c’était un accident ou une attentat. Il avait aussi imaginé ces voyages dans la lune dont il entretient de Guiche pendant que, chez Rostand, Christian épouse Roxane. Seulement, dans la réalité, ces voyages étaient moins une fiction scientifique que le moyen de critiquer « l’orgueil insupportable des humains » et d’attaquer « les prêtres (qui) brident si bien la conscience des peuples. »

     Cyrano était un libertin subversif, fin connaisseur de Giordano Bruno, Copernic, Galilée et  « hérétiques », et autres apostats condamnés par l’Eglise romaine. Savinien de Cyrano de Bergerac entretient le rêve d’un « pays où l’imagination est en liberté ». Autant vous le dire tout de suite, ses écrits furent censurés, passant sous le manteau dans un cercle d’amis, on les publia bien après sa mort.

      Benjamin Lazar les réunit à la scène pour jouer lui-même un spectacle qui se veut délicieusement archaïque. Une rampe de vraies chandelles éclaire le jeune Cyrano qui entre avec une lampe sourde à la main.2e5e7d7d29ef1d4c951e24bf5467ba72.jpg À jardin, deux musiciens, Florence Bolton (dessus et basse de viole), et Benjamin Perrot (Théorbe, guitare et luth) : Instruments baroques bien entendu, accrochés à un portant. Ils vont accompagner le récit de Cyrano, le ponctuer, en souligner les épisodes en interprétant des « sarabandes », « musette », « prélude », « allemande », « bourrée » et autres, tous morceaux du xviiesiècle.858182807a7659be986d004f592e57f6.jpg

     Benjamin Lazar raconte ses voyages. Il parle en accentuant « roi » en « roué », et en prononçant toutes les lettres, même les muettes, "les fumées", se dit les "fuméeeesss", comme le veut son maître Eugène Green. Le procédé peut paraître amusant, il devient vite artificiel et ralentit l'action. Dommage, car la mise en scène est soignée, subtile avec son jeu de lumières.  Une telle profération met trop de distance dans la précieuse et insolente parole de Cyrano qui, par l’absurde, s’en prend aux rois, aux prêtres, à toutes les religions : si un chrétien « mange un mahométan », l’enfant à naître sera-t-il « un beau petit chrétien » ? Très actuelle aussi est la dénonciation de toute autorité, y compris celle des parents : - « Je voudrai bien savoir si les parents songeaient à vous quand ils vous firent ! » . Le droit de ne pas naître, vous connaissiez ? Et le droit, pour les fils de désobéir à la loi, puisque ceux qui les ont faites « étaient des vieillards ».

     C'est donc un spectacle iconoclaste à conseiller aux commémorateurs et héritiers de mai 68... On pourrait affirmer que Cyrano les a inspirés.

 

 

 

Photos de Nathaniel Baruch

 

L’Autre monde ou Les États de la Lune d’après Savinien de Cyrano de Bergerac

Adaptation et mise en scène de Benjamin Lazar

Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet

Jusqu’au 26 avril

01 53 05 19 19

 

12/04/2008

Mots valises et dessous de table

Près des Jardin d’Éole, le quartier a bien changé depuis deux ans, et il ne reste plus beaucoup d’ateliers désaffectés. Mais le Naïf théâtre est toujours là, installé sous le Grand Parquet. Fidèle à ses idées, Richard Demarcy continue d’y mêler les cultures, et constant dans ses inspirations, il revient à Lewis Carroll.

Ceux qui, comme moi, hantent les théâtres depuis des décennies se souviennent encore de sa merveilleuse Chasse au snark et du sombre miroir de l’étang éphémère recréé au Centre Pompidou. Aujourd’hui, sur les planches du Grand Parquet, avec une table, cinq portes et une baignoire, la jeune Alice (Léontine Fall) s’égare dans le labyrinthe des rêves. Avec elle, Antonio Da Silva est le Lapin (blanc chez Carroll, en costume écossais chez Demarcy) Ugo Broussot, Nicolas Le Bossé, tour à tour, jardiniers, escrimeurs, gardes, lézard, loir, duchesse, goret, et j’en oublie sûrement. Alfa Ngau Domingas est principalement la reine de Cœur qui veut « couper la tête » de la désobéissante, et Yilin Yang d’abord dame de compagnie, est aussi Ver à soie et Cuisinière.

Alice est franco-sénégalaise, Antonio, franco-portugais, Ugo est franco-italien, Alfa est angolaise, Yilin taïwanaise et Nicolas normand, et tous font d’excellents comédiens qui nous emmènent dans un imaginaire foisonnant et réjouissant.

On navigue sur les mots, et suivant la technique du mot-valise et de la charade à tiroirs, malentendus, et contresens créent des tempêtes de rire. Comme la table dissimule des dessous surprenants, mais jamais déplacés, on nage dans le non-sens et l’humour. Et en plus, c’est esthétiquement très réussi, avec des parapluie colorés, des fleurs et des couleurs harmonieusement mariées.

Je sais qu’on vous en rend compte un peu tard, mais Richard Demarcy a promis une tournée et là, on vous prévient à temps.

 

 

Fantaisies pour Alice de Richard Demarcy

d’après Alice au pays des Merveilles de Lewis Carroll

Le Grand Parquet

20 bis, rue du Département

Paris xviiie

01 40 05 02 30

ce soir à 20 h

Jusqu’au 13 avril à 15 h

03/04/2008

Jour de colère à Haïti

     C’était un roman de Marie Vieux-Chauvet, Amour, colère et folie, José Pliya l’a adapté pour la scène et n’a gardé que le premier mot : Amour. Il contient tous les autres. Le monologue de Claire (Magali Denis Comeau) explique comment naît le désir, la perversité, la rancœur, la vengeance lorsque l’amour est frustré. La mise en scène de Vincent Goethals rompt le récit de Claire par l’apparition d’un danseur, Cyril Viallon, dont le corps, les mouvements, (sur des concertos de Beethoven) sont à la fois l’image du désir et la personnification d’un réel refusé.

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« Le souvenir du fruit défendu est ce qu’il y a de plus ancien dans la mémoire de chacun de nous, comme dans celle de l’humanité », écrivait Bergson. Ce danseur est le fruit défendu.

     Claire est, dans une famille de « sangs mêlés », l’aînée des trois sœurs Clamont, la vieille fille qui s’est sacrifiée pour élever la petite Annette. Elle veille aussi sur la faible Félicia et, « tient les rênes de la maison », « héritage indivis » d’une famille fortunée d’Haïti. Félicia est mariée à Jean Luze, et les deux autres sœurs convoitent le seul mâle blanc de la maison. Dehors, rôde un autre mâle, une brute de tonton macoute qui viole, pille, menace. Car à la violence dissimulée de la société familiale, répond la violence d’un régime corrompu qui répand la terreur. Claire après avoir été « metteur en scène du drame » familial, deviendra, un jour de colère, l'exécutrice du criminel.

     La vidéo de Janluk Stanislas montre l’intime en gros plan, la création sonore de Bernard Valléry suggère l’émeute extérieure. Les lumières de  Philippe Catalano distillent un jour lumineux derrière des stores de bois et montrent le renfermement de la famille. La scénographie de Jean-Pierre Demas ménage des courbes dans les murs blancs, des endroits dissimulés, des secrets.c7877ee33787bf5116306f9b1f0f97b1.jpg

     Claire, porte une longue robe de coton écru à col officier, vêtement strict pour une fille bien gardée, mais qui la suffoque et que dans ses émotions, elle dégrafe. L’homme est en costume de lin blanc, ou de soie noire. Torse nu pour la sensualité, veste pour la représentation sociale (Costumes Dominique Louis et Sohrab Kashanian), l’image porte plus loin un verbe charnel, que la voix de Magali Comeau Denis érotise.

     C’est toute l’âme d’un peuple qui parle par sa bouche.

 Phtos Eric Legrand

Amour de José Pliya

d’après le roman de Marie Vieux-Chauvet Amour, colère et folie

Le Tarmac

Jusqu’au 19 avril

01 40 03 93 95