Si tu ne m'aimais plus (28/09/2006)

Pierre était le mari de Anne. Il vient de mourir dans un accident. Elle découvre, en rangeant son bureau, un manuscrit qui lui laisse supposer qu’il avait une liaison. Histoire banale ?

La pièce de Florian Zeller ne l’est pas. D’abord dans sa temporalité, à la fois, épaisse et fluide, élastique comme la pensée qui va et vient entre présent et passé sans jamais s’interrompre. Ensuite, parce qu’elle explore le conscient et l’inconscient avec doigté. Quand la pièce commence, le drame est passé. Maintenant, Anne en parle, se remémore, commente, explore. Une absence, un mensonge par omission avaient déclenché une impression prémonitoire. Et si Pierre ne l'aimait plus ? Et, lorsque « Si tu mourais » est devenu « quand tu es mort », il ne lui reste plus qu’à cueillir les prémices du soupçon. Ainsi, « ces notes bien en évidence sur son bureau » n’ont-elles pas été laissées pour qu’elle les lise ? 

Anne cherche-t-elle une vérité qu’elle pressentait déjà avant que Pierre ne meure ? Chaque détail devient l’étape d’un chemin de croix, celui d’une annonciation qui ne peut atteindre la rédemption puisque celui à qui elle aurait pu pardonner n’est plus là. Elle n’est pas à la recherche d’elle-même comme dans Monsieur Arkadin d’Orson Welles, mais elle veut savoir qui était réellement celui qu’elle a aimé.

Connaissons-nous vraiment les êtres qui vivent à nos côtés ? Et pour intimes qu’on soit avec eux, en perçons-nous tous les secrets ? « Chacun sa vérité » disait Pirandello, et c’est de ce côté que le théâtre de Florian Zeller puiserait ses variations. Mais depuis ses premières pièces, où apparaissaient aussi les filiations Marivaux et Pinter, ce jeune auteur trace un chemin plus personnel et approfondit le sens de la destinée humaine. Il parle de morale, c’est-à-dire des mœurs avec plus de gravité. Il ne cherche pas à corriger les hommes, seulement à montrer « ce qu’il y a de déraisonnable dans la réalité ». Peut-être s’agit-il simplement de conjurer l’angoisse de l’existence.

  Il n’y aura pas de vrai dénouement parce que la vie n’est jamais figée. Le spectateur voudrait la bloquer, et demande un début et une fin. Alors, Florian Zeller le laisse décider. Michel Fagadau, dans sa mise en scène manie aisément le passage de la réalité au fantasme, du présent au passé. Il sait diriger les présences mystérieuses, concrétiser les instants d’hésitation, et c’est diaboliquement persuasif. Le décor sobre (scénographie de Florica Malureanu) permet de passer sans heurt d’un espace à un autre, et la lumière très travaillée de Laurent Béal l’accompagne en douceur.

Catherine Frot donne au personnage d’Anne une fragilité impitoyable. Le phrasé, le timbre de sa voix rendent son personnage inflexible et vulnérable à la fois. Chloé Lambert, dans le rôle de la rivale lui oppose la froide douceur des madones de Botticelli. L’antithèse est parfaite. Robin Renucci est l’homme qu’elles se partageaient. Il incarne ce Perdican louvoyant entre vérité et mensonge avec charme, intelligence et humour. Bruno Putzulu donne une tonalité inimitable à l’ami fidèle et inquiet qui veut ménager tout le monde.

 Cette œuvre séduit et pénètre. Elle va compter, non seulement dans la saison, mais dans la création théâtrale, car elle est essentielle.     

 

 

 Si tu mourais de Florian Zeller

Théâtre des Champs-Elysées

 01 53 23 99 19

 

13:10 Écrit par Dadumas | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer