Un Révizor revisité (10/10/2006)

  Ils ont tous quelque chose à se reprocher : concussions, prévarications, corruptions, forfaitures et abus de pouvoir en tout genre. Petits fonctionnaires de l’empire, mal payés et vaniteux, ils veulent paraître riches et supérieurs à cette classe de paysans et de marchands qu’ils pressurent. Alors, quand on leur annonce qu’un  Inspecteur Général du Tsar va venir contrôler leurs gestions, ils prennent peur, c’est humain. Le bourgmestre (Marc Chouppart) qui couvrait tous les trafics s’affole, le Directeur des œuvres de Charité (Martial Jacques)  s’énerve, le directeur des postes (Alexis Jacquet)  s’excite, la juge (Myriam Azencot) se trouble, l’inspecteur des écoles (Jean-Charles Maricot) bafouille, c’est la panique.

Khlestakhov (Juliette Plumecocq-Mech, époustouflante), lui, n’a pas grand-chose à se reprocher. Avoir perdu au jeu, est-ce que cela compte dans la vie d’un jeune homme bien né, au XIXe siècle ? Tout au plus pourrait-on l’accuser de grivèlerie, parce qu’il n’a pas un sou pour régler l’auberge, mais semer quelques dettes ici et là, rien de plus normal… Son serviteur, Ossip (Pierre-Henri Puente), lui, s’inquiète. Alors quand il voit débarquer le bourgmestre et de ses acolytes, il craint le pire, c’est-à-dire la prison pour son maître, tandis que les bourgeois de la ville, obnubilé par leurs craintes d’inspection, s’imaginent que ce jeune étranger est le « révizor » qu’ils redoutent. Et Khlestakhov, obscur petit fonctionnaire, devenu « son excellence », ne résiste pas aux honneurs et aux flatteries. Imposture ? Peut-être, mais qui est le plus coupable, celui qui ne détrompe pas ces gens qui s’aveuglent ou tous ces hypocrites qui veulent l’acheter ? L’âme humaine se repaît de bassesses inavouables…

 Il faut les voir courir, trembler, s’agiter vainement et stupidement. Christian Rauck les conduit sur un rythme de burlesque américain, et pour souligner le grotesque de tous ces profiteurs, il a demandé à Arthur Besson d’écrire une musique, et à Rémi de Vos d’écrire les paroles de couplets dignes des meilleurs Labiche. Et c’est un coup de génie. Le Révizor est revisité, sans être le moins du monde trahi, la traduction d’André Markowicz en fait foi. « Je suis un garçon délicat » chante Juliette Plumecocq-Mech, et elle a cette silhouette fine et « raffinée » que les balourds du village, engoncés dans les costumes de Coralie Sanvoisin, jalousent en vain.  Le « dandy aristocratique » appartient à la race des filous,  il roule tout le monde, séduit la femme du bourgmestre (Emeline Bayart) et sa fille (Amélie Dénarié) et disparaît avec les économies de chacun.

La scénographie d’Aurélie Thomas multiplie les armoires, c’est-à-dire les portes qui cachent les secrets, c’est astucieux et comique. Deux grands tapis se croisent au milieu de la scène et un balcon surplombe la porte de la demeure. Les musiciens sont en scène, contrepoints soulignant des aventures comiques, les accompagnant. A jardin, l’armoire de l’intime, où Khlestakhov séduit Maria et Anna. A cour, l’armoire qui donne sur l’extérieur, l’auberge, d’autres lieux. Des écrans de toile masquent alternativement les lieux et permettent des projections railleuses. Ô le portrait du bourgmestre en général en Bonaparte passant les Alpes ! Quelle trouvaille !

Il en est ainsi des dizaines que je vous invite à aller découvrir  de  toute urgence… Il y a seize comédiens fabuleux et des troïkas pleines de talent.

 

Créé à Bussang en juillet 2005

Théâtre de la Cité Internationale

 Du 9 octobre au 5 novembre

 01 43 13 50 50

18:50 Écrit par Dadumas | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer