Capri, c’est fini… pour Gorki (10/12/2006)
Maxime Gorki, l’autodidacte devenu écrivain et dramaturge célèbre avec Les Bas-Fonds (1902) était surveillé par la police du tsar. Emprisonné en 1905, il est libéré par une campagne internationale en sa faveur, mais doit quitter sa patrie (1906). Allemagne, États-Unis, puis Italie, le vagabond ne revient en Russie qu’avec la guerre (1914) et la Révolution. Mais après son opposition à la guerre, il dénonce les méfaits de la terreur rouge, les persécutions, la corruption, et en 1921, il doit reprendre le chemin de l’exil. Il retourne à Capri sous prétexte de se soigner. Le pouvoir qui reconnaît en lui un maître à penser, le récupère en 1928, l’ensevelit sous les honneurs, puis le supprime. La manière de Staline de circonvenir l’opposant, d’endormir sa défiance, de le neutraliser par la flatterie, de l’acheter en offrant des datchas, de payer pour qu’il ait une vie large et facile, tous ces affrontements auraient été proprement théâtraux et nous auraient montré Gorki dans ses contradictions, ses doutes, ses reniements.
Mais Jean-Marie Rouart qui signe ici sa première pièce, s’intéresse plus à l’homme privé, à ses amours, et à sa vanité d’écrivain. Entre Katarina (Marie-Christine Barrault), la compagne des luttes, Moura (Nathalie Nell), la maîtresse sensuelle, et la jeune Nina (Adeline Zarudiansky), la dernière conquête, Gorki (Roger Planchon) hésite. Gorki à Capri n’est ni un intello, ni un bourgeois, ni un proscrit qui souffre loin de sa patrie bien aimée. Et quand pour lui, Capri, c’est fini, on ressent chez lui peu de tristesse. Ce qui dans un roman aurait fait la délicatesse d’une analyse psychologique, la sagacité d’une pensée dans ses circonvolutions, devient ici flottement, et les comédiens hésitent, même dans leurs déplacements. Seule, Marie-Christine Barrault trouve le ton, les gestes, la place justes car Katarina la militante s’appuie sur les certitudes révolutionnaires.
Jacques Rosner, qui met en scène a trouvé un dispositif scénique ingénieux (décor de Thierry Leproust) pour résoudre le problème des changements de lieux. Et, comme il sait que le manipulateur suprême est Staline, il impose dans la seconde partie, une surimpression d’images du « petit père des peuples », avec des drapeaux rouges qui frémissent au vent de l’Histoire. Mais le dialogue ne corrobore pas le spectacle. Il manque un personnage qui aurait cristallisé ces forces obscures qui annihilent Gorki.
On sort déçu car le sujet était excitant, et on voit avec regret la pièce s’enliser. Nos Romantiques n’hésitaient pas après une première, à sabrer dans leur texte et à réécrire deux actes en une nuit. Mais on n’opère plus ainsi aujourd’hui, et c’est dommage. Henry Bernstein, qui fut le directeur du Théâtre des Ambassadeurs, devenu aujourd’hui Espace Cardin, préférait un théâtre qui agresse plutôt qu'un théâtre qui édulcore. Jean-Marie Rouart nous a habitués à des polémiques fameuses, des récits passionnants, on aurait aimé que sa première pièce soit plus pugnace. Nous attendrons donc la seconde.
Gorki, l’exilé de Capri de Jean-Marie Rouart de l’Académie Française
publié à l'Avant-Scène Théâtre
A l’espace Pierre Cardin
01 42 65 27 35
18:30 Écrit par Dadumas | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre | Facebook | | Imprimer