La porte de la folie (27/01/2007)

  La porte s’est refermée, dit-il, alors qu’il raccompagnait un disciple sur le palier. Il peste contre son visiteur, contre lui-même et « l’absurdité de ce geste imbécile ». Il gronde contre les voisins absents, s’irrite du gardien qui ne répond pas et refuse de déranger sa sœur cadette pourtant si dévouée avec lui depuis la mort de ses parents et de ses enfants.

C’est qu’il n’est plus tout jeune, le professeur de philosophie « à la renommée internationale ». Vieillard atrabilaire, il expose ses griefs contre les ambitieux, les hypocrites, les opportunistes, les paresseux, les incultes, la télé, enfin tout ce qui nuit à l’ordre de l’univers tel qu’il l’a connu, et qu’il ne reconnaît plus, lui, l’adepte de Platon, le commentateur du Phédon. Sans indulgence, il voudrait qu’on s’apitoie sur son sort.

On en rit. Il porte encore une veste de pyjama sous son costume un peu avachi, et peu à peu son raisonnement s’égare jusqu’à la ratiocination.  Il louvoie dans le passé jusqu’au ressassement. Et le bouffon devient tragique.

Il confond ce qu’il vit, ce qu’il croit vivre et ce qu’il a vécu. Michel Aumont, admirablement dirigé par Marcel Bluwal qui signe aussi l’adaptation, inspire la compassion, la crainte. La démence surgit par bouffées, imprévisible. « Le monde n’existe que dans les questions qu’on lui pose » dit le professeur qui pense encore. « Mais de quelle chambres est-ce que je parle ? » dit le vieux qui s’égare. Expulsé de chez lui, expulsé de lui-même, en dehors de la normalité, il a franchi la porte de la Folie.

Pour donner « la sensation de dépouillement et de nudité » dont parle le vieil homme, la scène est vide, meublée par instants de quelques chaises blanches qu’on enlève. La musique de Jean-Baptiste Favory et la lumière Jacques Rouveyrollis matérialisent le désordre de la pensée. C’est quelquefois terrifiant. On pense à Althusser, on pense à ces vieillards hallucinés qu’on découvre irresponsables une fois l’irréparable commis. Et c’est déchirant.

 

À la porte de Vincent Delecroix

depuis le 15 janvier

Théâtre de l’œuvre

01 44 53 88 88

16:35 Écrit par Dadumas | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre |  Facebook | |  Imprimer