Par-delà le Mal (07/10/2009)
Martin Heidegger (Didier Flamand) avait trente-cinq ans lorsqu’il devint l’amant d’une de ses plus brillantes élèves, Hannah Arendt (Elsa Zylberstein) qui en avait dix-huit. Liaison passionnée, nourrie des discussions intellectuelles qui les rapprochaient autant, sinon plus, que les échanges sensuels. Mais Martin était déjà marié, père de deux enfants. Sa femme, qu’il appelait dans ses lettres, sa « chère petite âme », Elfride (Josiane Stoléru) était bien décidée à garder son génie de mari. L’hypocrisie des mœurs fit le reste. Hannah s’effaça, changea d’université. Husserl et Jaspers devinrent ses maîtres, ce dernier dirigea sa thèse sur « le concept d’amour chez Saint Augustin ». Puis le nazisme lui interdit d’étudier, et, avant qu’on ne lui interdise de vivre, elle se réfugia en France, puis s'établit aux États-Unis. Martin Heidegger, adhère au parti nazi, et devient recteur. En 1945, avec l’effondrement du régime, il est interdit d’enseignement.
Le Démon d’Hannah commence à ce moment-là, dans une Allemagne en ruines. Michel Fagadau, le metteur en scène, recrée l’atmosphère morbide du Troisième Homme, avec une musique interprétée à la cithare, une scène partagée comme l’Allemagne. Mais ici, l’Allemagne du philosophe se trouve à cour, tandis que de l’autre côté, à jardin, on découvre les fiers gratte-ciel de New York. Tandis que Martin survit dans Fribourg saccagée, aux Etats-Unis, Hannah est chargée d’une mission d’inventaire des biens culturels juifs, après la Shoah. Elle est mariée à Heinrich Blücher (Jean-Marie Galey), un ancien spartakiste, qu’elle va abandonner le temps d’un voyage en Allemagne.
La seconde partie nous emmène dans une chambre d’hôtel, en Allemagne, où Martin la rejoint. Il ergote, il ment, il est lâche, mais il a influencé l’existentialisme, il est resté amoureux, séduisant…
Elsa Zylberstein montre un feu couvant sous la cendre. Elle s’anime au nom de Martin Heidegger. Lui pardonnera-t-elle sa veulerie, ses compromissions ? Didier Flamand en interprète sensible, laisse le spectateur dans l’ambiguïté. Antoine Rault, l’auteur, aussi. Nous n’entendrons pas Hannah condamner le totalitarisme, expliquer les origines du Mal, défendre Heidegger contre tous.
En revanche l'auteur imagine avec finesse l’affrontement entre les deux femmes. Les deux comédiennes sont superbes. Josiane Stoléru compose un personnage plein de hargne mais qui sait rester digne. Elsa Zylberstein atteint la dimension tragique.
Et cette beauté-là vaut bien qu’on s’attache à son « démon ».
Le Démon d’Hannah d’Antoine Rault
Comédie des Champs-Élysées
21 h
01 53 23 99 19
15:08 Écrit par Dadumas | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, heidegger, fagadau | Facebook | | Imprimer