Les gogos de Donogoo (16/11/2009)

        Donogoo-Tonka fut d’abord un « conte cinématographique », en 1920. Jules Romains n’y avait ménagé ni le changement de lieux, ni le nombre de figurants. Pièce essentiellement masculine elle fut jouée au théâtre. On y retrouvait Bénin (Patrick d’Assumcao), Lamendin (Jacques Fontanel) et Lesueur (Pierre Trapet), trois des compères du roman Les Copains (1913), dont le rire rabelaisien résonnait encore. On y découvrait Monsieur Le Trouhadec (Jean-François Guillet), type de l’universitaire médiocre, gonflé de prétentions, timoré et rancuneux : « insuffisant géographe » et « suffisante fripouille ». Ce personnage devint récurrent et fut « saisi par la débauche », en 1923 et se maria en 1925.

Donogoo raconte une mystification internationale, une manipulation planétaire, soutenue par une banque, nourrie par « la réclame » (on ne disait pas encore la pub), et avalée par tous les crève-la-faim un peu nigauds en mal d’enrichissement rapide et de revanche sociale. Les gogos de Donogoo-Tonka, partis pour faire fortune sur la (mauvaise) foi d’intrigants sans scrupules, vont transformer une erreur scientifique en vérité. Elle est donc toujours d'actualité.Donog2PhotoLot.jpg

Jacques Fontanel donne en Lamendin, une sorte d’autocrate en puissance que les événements révèlent à lui-même. D’abord irrésolu, égayé par les circonstances, « je trouve cela d’une absurdité insondable, mais je marche ! », il se nommera sans vergogne « gouverneur » de Donogoo, ville qu'ont fondée les hommes de bonne volonté, las d'errer dans ce pays, sans la trouver. Ainsi, la soif du pouvoir métamorphose-t-elle les hommes.

Donog1PhotoLot.jpgJean-Paul Tribout, qui met en scène, s’est réservé le rôle du cynique Margajat, patron d’une banque véreuse qui, dans une « époque défavorable », conduit l’opération financière et exploite autant la crédulité de pauvres bougres que celle des actionnaires cupides. Il le montre brillant, plus joueur que méchant.

On lui pardonne volontiers de finir la représentation sur la prise de pouvoir de Lamendin, et non sur l’arrivée des femmes, car il réussit la gageure de faire jouer une quarantaine de rôles, par huit comédiens qui assument de deux à huit rôles chacun.

Le professeur de psychothérapie biométrique Ruffisque (Eric Chantelauze), sorte de gourou autoritaire, se transforme en aventurier actif, comme Pierre Trapet, Laurent Richard, Patrick d’Assumcao ou Xavier Simonin.

Le décor (Amélie Tribout) n’est pas en reste avec ses ingénieuses fenêtres coulissantes qui ouvrent sur des bibliothèques, des paysages, des étagères de bistrot, des comptoirs d’échoppes. L’action court de Paris en Amérique du Sud, et visite les ports interlopes et les spéculateurs de toutes nationalités. Elle précède la crise de 1929, et, la pressentant, préfigure celle que nous connaissons. Elle parle aussi du « besoin de confiance » de l’Homme, et des escroqueries à grande échelle.

Pas besoin d’aller chercher très loin pour rompre la distance entre fiction et réalité. Samedi dernier, au Champ-de-Mars, des jeunes gens naïfs, se sont fait épingler… Et  redonner Donogoo aujourd'hui semble nécessaire.

Chers enfants de tous pays, précipitez-vous à Donogoo afin de rester lucide…

 

 

 

 

Donogoo de Jules Romains

Théâtre 14 jusqu’au 2 janvier 2010

01 45 45 49 77

21:09 Écrit par Dadumas | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : théâtre, littérature |  Facebook | |  Imprimer