Le diable à quatre (11/05/2012)
Ah ! Comment remercier Jacques Vincey de nous donner un Amphitryon qui soit une éblouissante comédie et nous fasse oublier les fantasmes mystiques d’Anatoli Vassiliev qui, sur cette même scène (2002), en fit une tragédie intime !
Née d’une trame antique, l’œuvre de Molière appartient à la farce, au vaudeville, à la commedia dell’arte, aux pièces « à machines », autant qu’à la comédie de caractères et même au brulot politique puisque les contemporains reconnurent Monsieur de Montespan, dans le rôle du mari trompé. Si « Un partage avec Jupiter n’a rien qui déshonore », comment pouvait-on s’offusquer de partager sa femme avec le Roi-Soleil ?
Alexandrins, octosyllabes, heptasyllabes impriment un rythme joyeux à cette fable où les dieux font les diables à quatre… Jacques Vincey ajoute au prologue des chœurs chantés du plus bel effet.
Jupiter (Michel Vuillermoz) est un séducteur. Pour parvenir à ses fins, il n’hésite pas à se métamorphoser. Cygne, taureau, pluie d’or, rien ne lui est impossible. Quand il tombe amoureux de la fidèle Alcmène (Georgia Scalliet). Il emprunte les traits du mari, Amphitryon (Jérôme Pouly) pour la séduire. Pardon, pour l’honorer. La Nuit (Sylvia Bergé) sera complice, Mercure, (Laurent Stocker) le grand organisateur prendra l’apparence de Sosie (Christian Hecq), le valet.
La Dame est satisfaite, et Jupiter aussi. Tout va bien…
Il y aurait bien le valet, Sosie, qui se plaint d’avoir reçu des coups de bâton de son… sosie. Mais écoute-t-on les plaintes d’un domestique ? Surtout quand il affirme :
« J’étais venu, je vous jure
Avant que je fusse arrivé ».
Amphitryon ne comprend rien à son récit. Mais il sent bien que quelque chose de louche s’est passé dans sa maison, et, à l’attitude d’Alcmène, il soupçonne vite son infortune. La scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy est astucieuse : la demeure d’Amphitryon dérobe ses escaliers, les façades coulissent, les lumières (Marie-Christine Soma) filtrent à travers des fissures. Tout échappe au maître, tout obéit aux dieux.
Les costumes d’Olga Karpinsky sont modernes, Alcmène porte joliment une robe rouge vif, ceinturée et juponnée, un petit caraco de dentelle. Georgia Scalliet a l’œil languissant la bouche gourmande d’une femme comblée. A toutes les « subtilités » de Jupiter : « « Détestez l’époux », « Sauvez l’amant », elle oppose un sourire épanoui.
Michel Vuillermoz, en capote militaire bleu horizon est… jupitérien. Autorité, prestance, il a de la grandeur. Il s’est teint les cheveux et la barbe dans la même nuance que ceux de Jérôme Pouly, avant de paraître, lamé d’or de la tête aux pieds dans le dernier tableau. Effet comique garanti ! Face à lui, Jérôme Pouly garde le masque de l’homme trahi, torturé par ses doutes, sa colère. Le personnage de Georges Dandin perce sous cet Amphitryon-là.
Christian Hecq, en tenue de baroudeur, met en Sosie la stupeur, la naïveté, du petit homme jouet d’un dieu méchant. Il incarne aussi la peur, la tendresse, la fidélité. Son registre est inépuisable. Sa Cléanthis (Coraly Zahonero) en jupe plissée et frange blonde semblant moins prude qu’il n’est écrit, on comprend son émoi, et sa joie d’apprendre que de son double n’a été que « glace ». Laurent Stocker compose un cynique railleur, aussi à l’aise en Dieu perché sur de curieuses échasses, qu’en pataugas. Et Sylvia Bergé est divine sur un de ces « chars » à deux roues qui font fureur chez les touristes.
Mais j’arrête ici les louanges. Que les seconds rôles me pardonnet.
Quand tout est si parfait, « le meilleur est de ne rien dire », et vous irez, naturellement…
Amphitryon de Molière
Théâtre du Vieux Colombier.
Du 9 mai au 4 juin, à 20 h.
01 44 39 87 00/01
17:40 Écrit par Dadumas | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, molière, comédie-française, jacques vincey, christian hecq, michel vuillermoz | Facebook | | Imprimer