Courage et fidélité (26/01/2006)





Ostrovski, un don de Sobel


En 1966, Bernard Sobel nous faisait découvrir Cœur ardent d’Ostrovski, un auteur méconnu en France, et qui pourtant ,vingt ans avant Tchekhov, peignait en Russie, la province déstabilisée par l’abolition du servage, rongée par les préjugés, minée par l’émergence d’une nouvelle classe : la bourgeoisie qui savait faire fructifier l’argent quand les hobereaux ne savaient que le dépenser et s’endetter. Quant aux sentiments humains, ils étaient universels, les mêmes que chez nous aujourd'hui : la jalousie, le mépris, la haine déchiraient la société tandis que l’amour, le courage et l’espérance tentaient de la rendre meilleure. A Gennevilliers, il y eut L’Abîme, La Forêt (qu’André Barsacq avait créée), et récemment Innocents et coupables. Toujours l’enchantement se renouvelait.
Aujourd’hui, avec Dons, mécènes et adorateurs Bernard Sobel nous révèle un chef d’œuvre, traduit par André Markowicz. Comme dans Innocents et coupables nous retrouvons le monde du théâtre en province. Sacha est une jeune actrice très douée (Chloé Réjon l’est, nous le savions déjà), mais c’est un cœur pur, elle a refusé la « protection » du Prince (François Clavier) qui se venge en exigeant que le directeur du théâtre (Gaëtan Vassart) ne renouvelle pas son contrat. Sacha et sa mère criblées de dettes, sans ressources autres que les « bénéfices » de certaines représentations, sont aux abois. Le talent ne suffit pas. Le courage non plus. Survient un mécène adorateur, Velicatov (Éric Caruso) qui l’entoure d’attentions, la couvre de cadeaux, trace le sillon de sa « carrière », sans exiger qu’elle renvoie Piotr le « fiancé » (Vincent Minne). La fidélité se déplace. Entre son art et sa rigueur morale, Sacha choisit.
Pour figurer les divers lieux de l’action, juste quelques malles sur le plateau nu que des panneaux, en descendant des cintres vont  limiter ou ouvrir sur la profondeur, différente suivant l’endroit. Pas de poudre aux yeux, pas de prétentieux et ruineux décor. Une seule concession : la scène du départ à la gare, façon Vie parisienne comme si Sobel se moquait de nos propres clichés. Toute la richesse du texte passe par les comédiens que Bernard Sobel dirige avec maestria. Il faudrait les citer tous. Thomas Durand le fonctionnaire désabusé, Éric Castex le tragédien grandiloquent, Isabelle Duperray, la comédienne apprivoisée, Laurent Charpentier le compagnon de beuveries, Jacques Pieiller le vieil adorateur ruiné devenu accessoiriste. Chaque personnage a son maintien, chaque voix sa tessiture. Celle, si posée, presque accablée d’Éric Caruso, vous étreint, et le grain inimitable d’Elizabeth Mazev contribue à l’émouvante composition de la mère, toute en sensibilité débordante qu’elle contient mais dont le bouillonnement franchit par instants les limites de la bienséance qu’elle s’impose. Entre la mère et la fille des scènes tendres et âpres conduisent sans violence à la décision finale. Du grand art. On en reparlera dans les études psychanalytiques (si les psy, bien sûr, lisent autre chose qu’Hamlet).
Ce sera la dernière mise en scène de Sobel à Gennevilliers, théâtre qu’il a créé, conçu jusque dans l’architecture des salles, et qu’il anime depuis plus de quarante ans, avec courage et fidélité. Il ne faut pas que ce soit le chant du cygne. Il y a encore tant de pièces qu'on ne connaît pas et que lui, s'est donné la peine de lire.




Jusqu’au 4 février
01 41 32 26 26

18:02 Écrit par Dadumas | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre |  Facebook | |  Imprimer