Dommage qu’elle soit sa sœur (09/03/2006)
Giovanni (Laurent Poitrenaux) et Annabella (Fany Mary) s’aiment. Ils sont jeunes, beaux, fortunés, libres. Dommage qu’elle soit sa sœur ! Giovanni ne pourra pas épouser Annabella. Au royaume de l’Inceste, l’Amour et la Mort sont deux promis, et l’enfer les brûle sur terre comme dans l’au-delà.
Pour Dommage qu’elle soit une putain de John Ford, Yves Beaunesne a repris la traduction avec Marion Bernède. Sa mise en scène s’inscrit dans une scénographie de Damien Caille-Perret, en plan doucement incliné, sur un parquet de bois blond étrangement marqueté. Autour de ce plateau, des sièges et des prie-dieu sur lesquels les acteurs se poseront entre leurs scènes.
L’action commence dans un noir absolu, d’où s’élève, a cappella, une voix qui chante « perdone dio moi ». Un chœur de voix répond et reprend la prière, nourrissant l’émotion. La lumière monte à jardin tandis que le Frère Bonaventure (Mathieu Delmonté) s’écrie : « Ça suffit, j’en ai assez entendu ». Il tance Giovanni qui l’écoute, tête basse, pénitent agenouillé sur un prie-dieu. Un cadre étroit figure la porte de la cellule du moine qui exige le « repentir », interdit « la luxure ». Mais Giovanni n’écoute que sa passion…
Pas de ruptures matérialisées de temps ou d’espace. Tout s’enchaîne dans l’espace grâce aux jeux de lumière de Jean-Pascal Pracht. Quand Giovanni quitte Frère Bonaventure, le cadre s’enfonce dans le plancher. Soranzo (Philippe Demarle), le prétendant d’Annabella et Vasquès (Jean-Claude Fressung) son serviteur, surgissent du fond, dans la tradition des entrées du TNP de Jean Vilar. Puis Florio, (Henri Monin) le père, s’installe à l’avant, sur la gauche. Annabella qui se cache sous un immense drap, rampe, le long de l’arête droite tandis que la nourrice Putana (Claire Wauthion) lui donne de gaillards conseils pour choisir un mari.
Yves Beaunesne utilise ainsi la périphérie du plateau, puis les diagonales, enfin le centre, plaçant les comédiens sur l’échiquier du destin. C’est dans le drap que Giovanni et Annabella s’enroulent, au milieu du plateau. L’ombre complice obscurcit leurs ébats en ce nombril maternel recréé, tandis que la lumière dessine le périmètre où s’agitent Soranzo, « infâme prédateur », Hippolita (Hélène Cattin) la femme qu’il a séduite et abandonnée. Doña Anna attirait la justice divine sur Don Juan. Hippolita prépare un poison pour se venger, s’emploie à corrompre Vasquès, mais sera son propre bourreau.
Plus tard, quand il faut marier Annabella, enceinte de Giovanni, le drap limitera la chambre nuptiale, puis la chambre-prison où le mari outragé enferme « la putain ».
Des trappes s’ouvrent autour de ce lit, comme les péchés creusent les damnations. Giovanni ne se repent pas, au contraire, il brave les hommes, la loi, la religion pour rejoindre Annabella, la poignarder, lui arracher le cœur, et tuer ceux qui les ont séparés avant de s’embrocher sur le poignard du vengeur. Alors, le plancher du crime se dresse à la verticale, le drap roule à sa base, dans l’ombre du mur des supplices. Il ne reste plus que le valet, qui, comme Sganarelle, se lamente sur son sort, et le nonce en violet qui prononce l’anathème sur les amants maudits.
On admire ce retour à la simplicité, à la primauté du texte que servent brillamment tous les acteurs. La radieuse Fany Mary qui a remplacé Marion Bottolier souffrante, a appris en dix jours le rôle d’Annabella. Elle semble faite pour lui. Patrice Cauchetier a créé des costumes dont les couleurs s’apparient subtilement, riches sans clinquant, magnifiques.
La pièce va tourner en France, à Cherbourg, à Marseille, en banlieue parisienne, en Suisse, au Luxembourg, en Belgique, ne la manquez pas.
Spectacle vu à La Coursive de La Rochelle
10:10 Écrit par Dadumas | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre | Facebook | | Imprimer