Longue vie au Naïf (13/03/2006)


 Le Naïf théâtre a posé ses cantines l’année dernière, devant les ateliers désaffectés du matériel roulant de la SNCF, dans un quartier en pleine rénovation. Au Grand Parquet. Le "parquet", vous savez, c'est cette construction de bois qu’on montait dans les fêtes villageoises pour faire danser la jeunesse, dans le temps, au siècle dernier, on y tangotait encore dans ma Puisaye à la fin des années 50.
Depuis un an, Richard Demarcy qui fut longtemps nomade, y a créé des spectacles tous publics, imaginé des festivals, des concerts, et en 2006, après la création de Vies courtes on y rendra un hommage à Léopold Sédar Senghor.
La troupe est colorée et internationale : Lomani Mondonga est zaïrois, Chrysogone Diangouaya est franco-congolais, danseur de formation il a rejoint la troupe cette année. Antonio da Silva vient du Portugal, Kudzo do Tobias du Togo, Alfa Ngau-Domingas d’Angola, Jean-Lacroix Kanga du Cameroun, Reine Mukinisa de Kinshasa, Guy Lafrance du Québec, Jean-Clément Doukaga du Gabon. L'auteur est français. Vies courtes est la trentième pièce de Richard Demarcy. Elle parle de l’Afrique et des enfants sacrifiés pour le profit de blancs et de noirs corrompus. Ils ne le sont pas tous, mais tous en sont victimes.
Mamadou était un as de la mécanique et réparait toutes les voitures. Celles des noirs crapuleux comme celle des blancs industrieux. Il ne demandait qu’à travailler en bonne intelligence avec son quartier, mais il était trop généreux avec plus misérable que lui. Il gênait. Une balle l’a cloué sur l’asphalte. Son corps ne bouge plus, mais son âme vagabonde. Elle prend l’avion et rencontre celle de Yaguine, mort de froid dans le train d’atterrissage. Ils découvrent ensemble les mensonges des uns, les vilenies des autres, et comment on a bafoué l’espérance.
Richard Demarcy ne juge pas, il bouleverse. Il montre des criminels, qu’ils soient blancs ou noirs. Il peint des hommes qui luttent pour survivre, qui se souillent pour sauver leur peau. Il dresse le tableau en humaniste, mais le propos s’avère pessimiste.
Sur le plateau, des percussions africaines à cour, une batterie à jardin, au centre, deux sièges blancs sur roulettes, figurant des sièges d’avion. Au fond, un rideau bleu, léger, on en retrouvera d'autres sur les côtés pour encadrer l’espace central, devant pour créer un proscenium, en diagonale pour figurer la clôture du camp de vacances. Au plafond, le voilage de lin blanc se replie dégageant un ciel de nuit américaine. Les scènes s’enchaînent sans heurt, en continuité. On passe de l’asphalte brûlant au tarmac protégé sans autre indication qu’une ligne lumineuse déposée à plat sur les côtés. On sait sans hésiter que Yaguine est mort, comme Mamadou, puisque leur visage est blanchi de céruse, puisque Yaguine tire lentement sur la flaque de soie rouge qui baigne le corps de Mamadou et fait glisser le tissu vers lui.
Lomani, Antonio, Alfa et Reine chantent… La musique et les chœurs ponctuent les événements, dans un rituel syncopé. Pour le road movie sur les pistes africaines, deux portières de voitures et le rythme des corps ballottés par les cahots des chemins défoncés, suffiront à assurer le décor. Au Naïf Théâtre, on bricole des atmosphères avec des riens, l’imagination du spectateur est requise. Et on sollicite son jugement. Dimanche 12 mars, c’était un beau jour pour mourir. Pour réfléchir aussi. Et pour se réjouir d’être ensemble, encore une fois. Longue vie au Naïf théâtre…
Tous les dimanches après le spectacle, il y a un programme de chants et danses africains, et bal.
Alors, dimanche prochain, on va danser ?

 


 

Vies Courtes

du 12 mars au 9 avril 2006

Le Grand Parquet
20 bis, rue du Département

75018 Paris

01 40 05 01 50
Texte publié aux éditions Acoria
Prix : 14 €

12:39 Écrit par Dadumas | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre |  Facebook | |  Imprimer