Renverser la fatalité (05/04/2006)

 

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Michel Vinaver aurait dû mettre en scène plu tôt.

En relisant ses pièces, on s’aperçoit que le chômage, les ventes d’entreprises, les reconversions, l’internationalisation de l’économie ne datent pas des années 2000, et que les parents de ces jeunes qui manifestent contre le CPE n’ont pas eu la vie si facile, il y a quelque vingt-cinq ans.

Mal en point dans Les Travaux et les Jours (texte publié en 1979), la petite entreprise lâchait ses employés avant d’être absorbée par une plus grande où les rapports humains se dénaturaient. Et dans Par-dessus bord (texte publié en 1972), la multinationale ne se portait pas mieux.

À la renverse reprend la même thématique. La pièce fut créée en 1980 par Jacques Lassalle et l’utilisation des écrans de télévision fut sans doute, avec la multiplicité des rôles, une des causes de l’insuccès. Deux fables se chevauchaient, celle de Bénédicte de Bourbon-Beaugency qui mourait « en direct » d’un cancer de la peau, et celle de l’entreprise Bronzex qui mourait de la mévente de ses produits solaires. L’agonie individuelle entraînait la condamnation collective.

Aujourd’hui, Michel Vinaver signe la mise en scène « avec la complicité de Catherine Anne ». Ce devait être un « chantier de recherche et de formation autour de l’écriture contemporaine », et le travail au bout de trois semaines était si satisfaisant qu’Anne-Marie Lazarini proposa la création du spectacle.

L’espace a été reconstruit en bi frontal. Trois « banquettes » rustiques sur le pourtour, une table carrée au centre. Les déplacements scéniques des banquettes s’opèrent dans le sens des aiguilles d’une montre, le narrateur tourne en sens inverse, « à la renverse » : « Vous vous souvenez du temps où… » commence-t-il. Le cycle du temps appartient au théâtre de Michel Vinaver. Le présent aussi, qu’il soit fragmenté, discontinu, dans la forme des séquences toujours brèves, qu’il soit quotidien et répétitif dans la spirale dramatique puisque in fine, le capitaliste Siderman, écarté de la direction de Sideral la multinational qu’il avait créée, rachète la filiale française que Sideral a bradée pour 1 F symbolique.

Le texte est réaliste, mais la représentation est épique. Michel Vinaver a légèrement réajusté le texte pour que les vingt-trois comédiens incarnent les vingt-neuf rôles. C’est un alésage millimétrique qui donne un ensemble chorégraphié où les histoires individuelles s’emboîtent parfaitement dans l’histoire sociale. Et enfin, l’ironie de l’auteur éclate. Le spectateur rit…

Pascal Decolland joue la faconde, Isa Mercure la sécheresse, Claudie Decultis et Maï David la modestie, Isabelle Antoine la douceur, Julien Muller, Cyril Lévi-Provençal et Véronique Müller, la rage, Bruno Cadillon et Patrick Palmero, le cynisme. Tous les sentiments s’exposent, se renversent, se transforment. Et même si l’on sait bien que l’homme ne renoncera pas au soleil parce que le cancer, ça n’arrive qu’aux autres, l’engrenage qui fait et défait l’économie est magistralement exposé.

Bronzex perd la partie, mais ne meurt pas, l'ancien laboratoire renaît de ses pommades. L'avenir est hésitant, mais pas désespéré. Les humains, chez Michel Vinaver, ne renoncent jamais. Ils combattent la fatalité. Nous avions besoin d'un leçon d'optimisme.

 

À la renverse

Artistic Athévains

01 43 56 38 32

 

08:58 Écrit par Dadumas | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre |  Facebook | |  Imprimer