Les gaietés de l’adultère (16/09/2006)
Jésus offrait le pardon à la femme adultère, et ce n’est pas Woody Allen qui va lui jeter la première pierre, au contraire ! Il a toujours revendiqué son éducation judéo-chrétienne, et réclame haut et fort l’absolution pour tous les hommes de mauvaise foi qui succombent à la tentation avec des épouses qui ne sont pas les leurs.
Il démontre en trois leçons, trois pièces : Riverside, Central Park Ouest, Old Saybrook, regroupées sous le titre Adultères, que sans ces petits écarts de conduite, mari et femme s’ennuieraient et que le couple sombrerait puisque la conjugalité tue le Prince Charmant. C’était aussi l’idée de Feydeau dans La main passe.
Hélas ! Stimuler la libido par l’inconstance, éveille quelquefois d’autres pulsions. Et il peut y avoir des « meurtres mystérieux à Manhattan ». Woody Allen, en adepte de la psychanalyse, observe ses personnages avec l’œil d’un clinicien, et comme il est aussi l’auteur de La Rose pourpre du Caire, il les dote du libre arbitre par rapport à leur créateur, et c’est désopilant.
Benoît Lavigne, le metteur en scène a tout saisi de ces passages où la fiction scénique est brutalement interrompue par une autre fiction. Il sait rendre le trivial comme le mystère. Il conduit chaque séquence avec le tempo qui convient. Grâce aux décors de Laurence Bruley, aux costumes de Pascale Bordet, aux lumières de Christian Mazubert, ces trois pièces s’imprègnent de cette poésie et de cet humour quasi shakespeariens qu’on avait découverts dans Comédie érotique d’une nuit d’été (1982). En cinéphile convaincu, le metteur en scène propose, avant chaque lever de rideau, des génériques projetés qui s’accordent parfaitement à l’esprit « allenien ».
Riverside se déroule, comme son nom l’indique, sur les berges du fleuve (Sur les quais, mais le titre était déjà pris). Scène nocturne en noir et blanc, comme dans Manhattan. Dans les brumes qui montent du fleuve et des égouts, sous la triste lumière d’un réverbère auréolé, un homme en trench pâle attend. Jim (Pierre Cassignard) a donné rendez-vous à Barbara (Pascale Arbillot) sa maîtresse. Elle est en retard, et c’est Fred (Xavier Gallais) qui soulevant la plaque d’égout, va l’interpeller. Il connaît tout de Jim, y compris ce qu’il cache. Curieux personnage, mi-clochard, mi-démon, maître chanteur ou ange gardien, face sombre de Jim ou personnification du destin, Fred se déclare « homicide, psychopathe ». Un fou ? Mais un fou génial, dont les ratiocinations vont conduire Jim à la réflexion, et dont les intrusions remettent l’homme égaré dans le droit chemin conjugal. Central Park Ouest, (quartier que Woody Allen habite) et Old Saybrook (quartier résidentiel) exploitent à fond les situations des constat d’adultères. Cascades de révélations, de cris, de menaces, de coups parfois, de pleurs et d’alcool toujours, et après la colère, les rodomontades, enfin l’apaisement dans la vertu retrouvée et les serments renouvelés. Les hommes sont faibles, et sensuels, ils veulent jouir, les femmes sont stupidement romanesques, elles veulent être aimées. Malentendu éternel !
Qu’elles soient femmes trahies ou femmes traîtresses, Pascale Arbillot et Valérie Karsenti sont de remarquables interprètes, tout en finesse. Eglantine Rembauville dont c’est la première apparition sur scène, rayonne de charme. Bernard Yerlès et Fabrice de la Villehervé composent des personnages hauts en couleur, hilarants. Quant à Dominique Daguier qui s’est fait la tête de Sacha Guitry, il est inénarrable… Mais le plus étonnant est Xavier Gallais qui passe de l’inquiétante étrangeté de Fred, l’ange du bizarre, à la placidité désabusée et douloureuse du « maniaco-dépressif », Howard. Il cisèle un Hal goguenard plus tendre que blessant. Il déploie toutes les nuances d’une riche palette, il est éblouissant. Les dialogues sont vifs, incisifs, la traduction de Jean-Pierre Richard est d’une efficacité sagittale.
La soirée est exceptionnelle.
Adultères de Woody Allen
Théâtre de l’Atelier
01 46 06 49 24
14:30 Écrit par Dadumas | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer