Des lendemains qui grincent (21/02/2008)
Sont-ils morts ? Sont-ils vivants ? Sont-ils encore des humains, ces êtres réfugiés dans le grand cloaque souterrain entre Beyrouth et Chypre ? Des mutants plutôt, mi chair pourrie, mi-végétal. L’herbe pousse dans les orbites de l’un (Roger Assaf), des plantes ont pris racine dans les oreilles de l’autre (Bechara Arallah) et un bouquet de verdure obstrue la bouche de la femme monstrueusement enceinte (Bernadette Houdeib). Dans un pénombre bleutée, assis sur des tas d’immondices, coincés entre des déjections, ils sont exclus du monde d’en-haut, mais protégé, des rafales de mitrailles, des explosions de bombes qui, là-haut, rythment le quotidiens des derniers vivants. Et déboule alors un zombie, presque intact dans sa chair (Swassa Bou Khaled), mais le cerveau un peu fêlé. Elle voit, elle entend, elle parle, même si ce qu’elle dit semble monstrueux. Ni « il », ni « elle », mais « moustique » raisonneur, née dans une éprouvette, elle a été jetée à la poubelle pour défaut de fabrication.futée comme un elfe, elle les sort de leur torpeur.
Nous sommes en 2100 et Beyrouth subit toujours la guerre. Et, puisque des guerres présentes, et de ses démolitions, Beyrouth a utilisé les gravats pour gagner 1 km2 sur la mer, pourquoi ne pas imaginer que dans cent ans, les réfugiés atteignent à pied l’île de Chypre ?
Dans cette fable futuriste de Issam Bou Khaled, le fantastique s’appuie sur un décor réaliste (scénographie de Hussein Baydoun, costumes et accessoires de Sawsan Bou Khaled qui signe aussi la version française du texte). Le grand magma de l’égout est solidifié mais élastique comme une vraie boue, les arceaux qui supportent le faîte se déglinguent sous les coups. Les comédiens roulent sur ce sol plastique, oscillants sous les secousses. Ils donnent une vérité inquiétante à leurs personnages grotesques et pathétiques, ballottés par des événements qui les ont exclus de la vie.
La progression dramatique se fait par associations d’images fortes, autour de l’idée de survie. Le désespoir ruisselle dans leurs propos. Les lendemains grincent sans fin. On ne peut s’empêcher de penser à l’univers de Beckett. Il n’y a aucun enfant dans le ventre de la femme : « Tissus nécrosés, « viscères pourries, le décès remonte à cent cinquante ans ». Cet univers-là est terrifiant. Et si proche.
Même si le lutin leur redonne l’envie de quitter leur ergastule pour aller vers la lumière, vers le chaud, le propre, le vivant, le trajet sera difficile, peut-être impossible. Essayons quand même, dit l’auteur. La folie rôde, et si nous l’acceptons, nous en serons un jour, tous victimes.
Archipel de Issam Bou Khaled
photos : Eric Legrand
Le Tarmac de La Villette
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12:05 Écrit par Dadumas | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre, francophonie, danse | Facebook | | Imprimer