Les deux soeurs (18/03/2008)
Elle sont sœurs à la ville, et Pierre Notte leur offre à la scène le rôle de leur vie dans Deux petites dames vers le Nord. Annette (Catherine Salviat), et Bernadette (Christine Murillo) doivent enterrer la vieille mère dont elles ont filialement pris soin. Pas de simagrées, pas de choeur de pleureuses.Toutes deux savent que chacune est mortelle et Maman avait « quatre-vingt dix-sept ans, tout de même ! », alors, leur deuil n'est-il pas déja fait ? Presque. Car, si elles respectent les volontés de la mère : « être incinérée », elles n’ont pas prévu l’endroit où déposer l’urne qu’on allait leur remettre. Ni que « Maman (ferait) cling ! » quand on la transporte.
De ce petit bruit incongru surgit le passé… Ce cliquetis bizarre ? Une broche en titane que la crémation n’a pas réduite en cendres. Et cette broche ? Un cadeau du père, mort il y a plus de vingt ans, le seul homme que la mère « ait jamais aimé ». Mais voilà ! « On n’a jamais bien su où il était enterré ! ». L’aînée a un vague souvenir de l’endroit. Près d’Amiens, des tombes tranquilles, une allée ombragée de hêtres. Qu’importe ! quand on aime, on vient à bout de toutes les difficultés. On appelle ça « des preuves d’amour ».
Et les deux petites dames, qui ne sont plus des tendrons, partent à la recherche du cimetière. Pas de taxi à l’arrivée en gare d’Amiens, mais un car de soixante places avec les clés sur le tableau de bord. Annette conduira. La pérégrination, après quelques bières, devient virée. Et, au bout d’un circuit pittoresque, après pas mal de carambolages, elles trouveront la tombe et y laisseront Maman avec Papa. « On reviendra ! » promettent-elles avant de frôler la catastrophe et de terminer dans un commissariat de police.
Patrice Kerbrat, le metteur en scène a tout compris. Il dirige ses comédiennes avec un bonheur évident. Il ne s’embarrasse pas de multiples décors. Edouard Laug a choisi un cyclo gris s’ouvrant en deux portes qui s’écartent sur des fonds colorés. Au centre un coffre, objet polysémique, que les comédiennes manipulent et déplacent : banquette, cercueil, car, tombe, réserve d’outils, au gré du voyage…
Bernadette revendique le droit de « rire de la mort ». Elle peut être satisfaite, on n’a jamais autant ri en suivant un cortège funèbre. La vie exulte chez ces deux femmes que l’âge, la silhouette, le caractère, la couleur des costumes (signés Pascale Bordet) opposent et qu’une certaine ressemblance à leur mère réunit : « Toi les yeux, moi la bouche ».
Malgré leurs petites querelles, elles sont unies par les liens indissolubles. L’une s’exaspère, l’autre s’écroule. « L'une est en cendres, l'autre en miettes ». Et elles affrontent ensemble les tempêtes…
On reconnaît ici la délicate palette de l’auteur. Pierre Notte excelle à peindre les familles. Dans l’amour qu’on porte aux siens, les tendres sentiments brassent des rages violentes. On voudrait que sa mère, son père, ses sœurs (ou ses frères) soient intelligents, beaux, irréprochables, enfin, meilleurs qu’ils ne sont. Le sont-ils ? Ils nous agacent. Hélas ! Les êtres humains sont imparfaits. Heureusement le théâtre est là qui nous aider à comprendre les comédies de la vie.
Pierre Notte, pièce après pièce, et sous des allures légères, - vous ai-je dit qu’il écrit aussi les chansons, paroles et musique ? – approfondit ses thèmes et construit une œuvre forte. Il fut un temps critique dramatique et il n’hésite pas à chicaner les engouements de ses confrères. Dans Deux petites dames vers le Nord, au cours d’une scène hilarante - parce qu’en situation, - il montre comment le théâtre anglais peut être lourd, ennuyeux quoi qu'on en dise. Il faut de l’audace pour désacraliser un prix Nobel.
Les yeux de l’auteur pétillent, et comme le jeune Rimbaud, il a « le bleu regard – qui ment », mais c’est de l’ironie, mon enfant… Allez vite découvrir cet iconoclaste !
Deux petites dames vers le Nord de Pierre Notte
Théâtre Pépinière Opéra
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18:40 Écrit par Dadumas | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre | Facebook | | Imprimer