Ne touchez pas à la reine ! (17/10/2012)
Vous ne connaissiez de l’œuvre dramatique de Théophile Gautier que le ballet Giselle, et hormis les adaptations du Capitaine Fracasse et de Mademoiselle de Maupin, vous l’aviez définitivement classés dans la catégorie « poètes », et pensiez qu’il se contentait, au Théâtre, de porter le gilet rouge de la bataille d’Hernani.
Jean-Claude Penchenat va réparer cette erreur et combler nos lacunes en littérature. Il met en scène, une comédie que Théophile Gautier signe avec Bernard Lopez (Non ! ce n’est pas un joueur de football, mais un écrivain du XIXe siècle, 1813-1896).
Du théâtre romantique, on joue surtout les grands drames, mais Gautier a la plume légère, souriante, fine, malicieuse. Ainsi, Regardez, mais ne touchez pas, (initialement titré Ne touchez pas à la reine) parodie aimablement la situation de Ruy Blas, et termine l’argument en comédie.
Il s’agit de la Reine d’Espagne, Elisabeth Farnèse (Chloé Donn ou Jeanne Cogny) qu’une étiquette sévère et paradoxale protège. Ainsi, le jour où son cheval s’emballe, elle est en grand danger, il convient de lui porter secours, mais sans la toucher ! Car celui qui enfreint la règle risque la mort. La suivante de la Reine, Doña Beatrix d’Astorga (Flore Gandiol), promet sa main au brave qui s’y risquera. Le capitaine Don Gaspar (Alexis Perret) n’a pas eu besoin de cet enjeu pour porter, instinctivement secours à sa souveraine « en dehors de toutes les règles établies. » Il a arrêté le cheval, déposé la Reine évanouie sur un lit de gazon, et se cache quand les secours arrivent. Personne ne sait qui il est. Un jeune fanfaron, Don Melchior de Bovadilla (Damien Roussineau), « grand seigneur méchant homme », neveu du cauteleux comte de San Lucar (Samuel Bonnafil), prétend être l’auteur de cet acte de bravoure. Ça tombe bien, puisque San Lucar veut le marier à Beatrix, et que « on peut bien quelquefois se désister de la rigueur des principes en faveur d’un parent. »
Mais l’étourdi Matamore accumule les erreurs, s’empêtre dans les quiproquos, et se retrouve contraint d’épouser Griselda (Judith Margolin ou Sarah Bensoussan), une « simple fille d’atour », heureusement « pas laide ». Quant à Don Gaspar, amoureux de Beatrix, il aura brisé par son courage la barrière sociale qui le séparait de sa belle.
La pièce, créée le 20 octobre 1847 à l’Odéon a du succès. Victor Hugo qui n’a pas encore vu la pièce (Adèle, après François-Victor a contracté la typhoïde) écrit à son ami Théo : « J’entends dire de toutes parts que votre pièce est ravissante. » (22 octobre 1847).
Pourquoi diable ne fut-elle jamais rejouée ?
Pour raconter son Voyage en Espagne, Gautier avait créé un personnage Désiré Reniflard, voyageur candide et vaniteux. Jean-Claude Penchenat l’introduit avec intelligence, dans la narration sous forme du régisseur-souffleur-figurant, sorte de conteur pré-brechtien, qui ajoute de l’ironie à une pièce déjà pleine d’humour. Son décor minimaliste, ses accessoires moqueurs, ses chorégraphies fantaisistes donnent à la pièce un rythme de commedia dell’arte. On rit à chaque clin d’œil, on savoure les bons mots et le burlesque de l’ensemble. C’est délicieux…
Gautier, comme Hugo lutte contre le théâtre bourgeois, et s’il mélange le genre romanesque et le genre dramatique, c’est qu’il combat vaillamment le genre ennuyeux. Hugo, qui connaît par cœur les vers du Pierrot Posthume, créé au Vaudeville au début de l’année 1847, n’osera ce ton que dans le Théâtre en liberté... quelque vingt ans plus tard.
Sacré Théo !
Photos © Lot.
Regardez mais ne touchez pas de Théophile Gautier et Bernard Lopez
Au Lucernaire
Du mardi au samedi à 21 h 30
Dimanche 15 h
Jusqu'au 20 janvier
21:12 Écrit par Dadumas | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre, littérature, lucernaire, penchenat, gautier, hugo | Facebook | | Imprimer
Commentaires
Merci encore pour ces posts très intéressants
Écrit par : latvinga | 18/10/2012