09/11/2006
Vêtir la Vérité
Connaître la vérité toute nue ? Vous y parviendrez rarement. Au nom de la morale et de la religion les Hommes la revêtent trop souvent d’un voile pudibond ou d’oripeaux horribles.
Ce n’est pas tout à fait par charité chrétienne que l’écrivain Nota (Gilles David) a recueilli Ersilia (Cécile Coustillac) la suicidaire. Ce n’est pas par désespoir amoureux qu’elle a voulu mourir, enfin, un peu quand même… Mais il est difficile de dénouer le fil de la vérité dans l’écheveau des mensonges. Pirandello nous le dit depuis 1917 avec Chacun sa vérité et Les Grelots du fou jusqu’à ce Vêtir ceux qui sont nus créé en 1922. Il poursuivra cette quête tout au long d’une œuvre qui fouille les faiblesses des hommes et les plaint plus qu’il ne les juge.
Elle est bouleversante Cécile Coustillac, dans ce rôle de jeune fille séduite et que le désir de vivre a abandonnée. Elle touche « l’extrême fond », et dans son « petit ensemble bleu clair » qui lui donne l’air d’une collégienne, elle a atteint ce désespoir dont parle Kierkegaard, ce dégoût de la vie, où même l’espoir de la mort n’existe plus. Elle parle de sa vie vide, et crache son mépris à la face des hommes qui l’ont niée. A Franco (Antoine Mathieu) son séducteur qui l’a éveillée aux plaisirs de la chair et qui se dit bourrelé de remords, mais uniquement depuis que sa fiancée l’a mis à la porte. Elle oppose le même visage buté à Grotti (Sharif Andoura) le maître qui a profité « du feu » que Franco avait « allumé » en elle, et l’a avilie jusqu’à la haine, jusqu’au drame qui a causé la mort de l’enfant dont elle était la nurse. « Tous des chiens ! » qui ne comprennent pas qu’il lui est impossible de vivre.
Stéphane Braunschweig, le metteur en scène, choisit un décor emboîté dans des cloisons matelassées obscures qui feutrent les murs du meublé de Madame Onoria (Hélène Schwaller), où la jeune Emma (Anne-Laure Tondu) fait le ménage. Ainsi ces deux femmes s’inscrivent dans une société doublement close où règne une morale hypocrite qui s’offusque au nom de la bienséance, mais pleure au récit des malheurs d’Ersilia. Il décale l’action dans une époque plus proche de la nôtre puisque les costumes (Thibaut Vancraenenbrock) évoquent plus les années 70 que les années 20, et que le journaliste (Thierry Paret) tient une caméra.
On l’approuve de jouer l’atemporalité sur un texte, qui paraît avoir été écrit pour notre époque de voyeurisme et de « victimisation ». La traduction ne Ginette Herry y est sans doute pour beaucoup aussi. Ou alors, Pirandello qui s’inspirait à la fois d’un fait divers, et de la nouvelle de Luigi Capuana qui fut le narrateur et le héros de l’aventure des « Carnets d’Ada », a-t-il pressenti le rôle que la presse à sensation pouvait jouer ? Toujours est-il que dans le personnage de Nota (celui qui a des notes ?), l’auteur commente, raille, ironise sur sa condition avec l’allusion à son roman de 1901 : L’Exclue. Gilles David, goguenard et gourmand l’incarne avec une élégance malicieuse. Face à un Antoine Mathieu torturé, à un Sharif Andoura qui fait la bête et que le démon de midi taraude, il peut imaginer sa comédie du « mensonge démasqué », et rend le spectateur complice. La jeune Cécile Coustillac, l’air buté, oppose sa fragilité à l’orgueil de l’écrivain qui a tout deviné et à la vanité du journaliste fier de « l’émotion » que son récit a provoquée, « C’était si bien raconté dans le journal ! » dit Madame Onoria. Le contraste entre cette somnambule dévastée et la suffisance des hommes émeut le spectateur, qui, avec elle commence à réfléchir « à ce que personne ne s’avoue à soi-même ».
Vêtir ceux qui sont nus s’inscrit dans le cycle « Masques nus » de Pirandello. Et la mise en scène de Stéphane Braunschweig ne travestit aucun des thèmes…
Vêtir ceux qui sont nus de Luigi Pirandello
Théâtre de Gennevilliers
Du 7 au 24 novembre
01 41 32 26 26
23:11 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer
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