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15/02/2009

Les chiens dévorants

Ils étaient venus en Amérique latine pour faire des affaires : remplacer les bidonvilles par des « housies », constructions préfabriquées, destinées à améliorer l’habitat des pauvres. Après le juteux contrat obtenu au Brésil, ils avaient rendez-vous au Chili, avec ce fameux général dont Bob (Jean-Baptiste Malartre) oublie toujours le nom. Vous savez celui qui fit assassiner la démocratie le 11 septembre 1973, et qui « voit grand ». Mais leur « jet privé », ne franchira pas la cordillère des Andes. Il s’écrase, et, alors qu’ « il pleut sur Santiago », les survivants vont devoir affronter le froid, la faim, la mort, la solitude.

Pat (Elsa Lepoivre) blessée, est la première à suggérer que « les morts, ça doit pouvoir se manger ». Sue (Léonie Simaga) approuve, suivie de Ed (Gilles David), Nan (Priscilla Bescond), Dick (Pierre-Louis Calixte) et Jack (Christian Gonon). Bess (Sylvia Bergé) d’abord choquée, fera comme les autres. Afin de rester en vie, ils vont découper les corps, faire sécher  des tranches au soleil ou les cuire tant qu’ils pourront allumer un feu.

Pour les directeurs de « Housies », il ne suffit plus « de pousser,[pour que] les obstacles s’écartent », il faut améliorer « l’ordinaire » composé de chips, d’olive, d’alcool trouvés à bord. Ils étaient triomphants, chrétiens et bien pensants. Ils redeviennent des bêtes sauvages. On pense aux vers de Racine, à « l’horrible mélange/D’os et de chairs meurtries […] Que des chiens dévorants se disputaient entre eux ». Ici, grâce aux interprètes, la cruauté du monde inspire aussi la compassion.

Michel Vinaver écrivit ce drame féroce, en 1980 en s’inspirant d’une part d’un fait divers de 1972 et d’autre part de l’implication de la CIA dans le coup d’état de Pinochet. Aujourd’hui, où le monde de l’entreprise liquide ses cadres sans vergogne, L’Ordinaire prend aussi la dimension d’une fable sociale. Le théâtre de Michel Vinaver est indissociable de notre vie.

C’est cette œuvre-là, sérieusement politique, qui entre au répertoire, et que l’auteur met lui-même en scène à la Comédie-Française. Il prolonge la scène par un tréteau élisabéthain qui pénètre les premiers rangs de spectateurs, violant ainsi leur espace pour mieux les engager dans l’action. Pas d’autre décor que ce plateau métallisé comme une aile d’avion, lisse comme un glacier (scénographie et costumes de Gilone Brun). Dessous, c’est la carlingue, refuge d’où sortent les accessoires, et où Bob planque ce qu’il vole. Car le chef n’a pas ni grandeur, ni générosité, alors que ses subalternes oublient leurs jalousies, et que les femmes montrent plus d’altruisme.

Et le grotesque de la situation provoque le rire. Ce n’est pas le moindre paradoxe de cette pièce, que l’humour soit associé au tragique, et que quelle que soit la situation, l’homme puisse ainsi ne jamais désespérer. C’est peut-être aussi ce qui le distingue de l’animal, car ainsi que le disait Guillaumet : « ce que j’ai fait, aucune bête ne l’aurait fait. »

 

 

 

 

 

 

 

L’Ordinaire de Michel Vinaver

Comédie-Française,

Salle Richelieu, 20 h 30

0825 10 16 80

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