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19/12/2010

Chez les Grecs

 

 

Du temps de Périclès, Le Pirée était un homme.

Non je ne plaisante pas, je l’ai vu, l’autre soir. Le Pirée (Antoine Sastre) était l’assistant de Phidias (Gilles Bugeaud), le grand sculpteur. Celui que ses potes appellent « Phi-Phi ». Un joyeux drille celui-là, très porté vers le beau sexe, entouré de ravissants Petits Modèles  (Florence Andrieu, Nadine Béchade, Marie Blondel, Alexandra Courquet, Nathalie Davoine, Laetitia Le Mesle, Isabelle Monier-Esquis, Laure Pierredon, Marion Sicre). Normal, quand on est plasticien on a besoin de modèles vivants. Or, voici que la République, par la voix de son archonte, Périclès (Christophe Grapperon), vient de commander une statue : « l’Amour et la Vertu ce serait chose aisée ! Mais comment représenter la Vertu ? Franchement, ce ne sont pas les dieux qui en donnent l’exemple. Phidias avait bien pensé à la pulpeuse Aspasie (Lara Neumann), mais c’est plutôt une petite vertu. Heureusement, il y a Madame Phidias (Emmanuelle Goizé), qui, comme la femme de César est irréprochable. Quant à l’Amour, le beau jeune homme Ardimédon (Olivier Hernandez), qui la suit partout en témoigne tellement qu’on peut le choisir pour parangon… Après tout, si l’atelier de Phidias se transforme en hôtel du libre-échange, « ce n’est pas grave ! ». Et Pallas Athénée, qu’on priait chez les Grecs, n’a qu’à se voiler la face !

Dans l’opérette Phi-Phi, Henri Christiné, Albert Willemetz et Fabien Sollar revisitent l’Antiquité quelque cinquante années après La Belle Hélène d'Offenbach. Aujourd’hui la compagnie des Brigands, et le metteur en scène Johanny Bert, quatre-vingts ans plus tard, rajeunissent la célèbre opérette, partition pour cinq chanteurs comédiens, et des chœurs. La mise en scène est intelligente. Tout semble évident pour le spectateur.

La scène se passe chez un sculpteur, il y est donc question de la « représentation du corps ». Et, dit Johanny Bert : « Les corps y sont mis à nus, scrutés, questionnés, par les personnages eux-mêmes ». Il en fait alors des corps morcelés, que les Petits Modèles reconstituent et manipulent, comme les élèves d’un atelier de sculpture. Chaque protagoniste ayant son double, les comédiens donnent leur voix et se détachent du théâtre où les marionnettes (de Einat Landais) s’agitent. Ils prennent ainsi leur distance avec leurs rôles, commentent, rendent le public complice.

Nous ne dirons pas que c’est brechtien, mais esthétiquement, on reconnaît l’influence du maître Alain Recoing. Le résultat ? Le livret d’Albert Willemetz se dégage plus scintillant de ses dialogues aussi caustiques que coquins et les personnages deviennent actuels.

Christophe Grapperon, qui barytonnait dans les premières productions (Les Brigands, docteur Ox, Ta bouche, Toi c’est Moi), a pris la direction musicale depuis Arsène Lupin banquier, et de son pupitre de chef d’orchestre, prête sa voix à Périclès tout en dirigeant l’équipe. Quel talent ! L’orchestration pour dix musiciens, est l’œuvre de Thibault Perrine comme il se doit. Pour les comédiens, on retrouve les fidèles : Gilles Bugeaud, Emmanuelle Goizé, toujours plus pétillants, que de nouvelles voix chaudes et limpides ont rejoints, et naturellement aux costumes, Élisabeth de Sauverzac.

Les Brigands, c’est aussi une question d’amitié.

Pour nous aussi, spectateurs, car à chaque fois, ils nous comblent de bonheur.

 

 

 

 

 

 

Phi-Phi opérette d’Henri Christiné, livret d’Albert Willemetz et Fabien Sollar

Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet

Jusqu’au 9 janvier

01 53 05 19 19

16/12/2010

Croire au Père… et à la mère Noël

 

 

 

 

 

Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais c’est bientôt Noël ! Et pour faire briller les yeux des enfants, on crée des spectacles « tout public » où leurs grands enfants de parents sont invités aussi.

Pour l’occasion, on fait appel à ce vieux bonhomme vêtu de rouge et de blanc, qu’on appelle « le Père Noël ». Photo François Vila © P1018527.JPGWilliam P. Korso qui a sûrement écouté les revendications des grands-mères (les rebelles des années 60 qui réclamaient l’égalité !), lui adjoint la « Mère Noël), un charmante dame, qui, comme dans tous les ménages, partage les soucis de la mission de son mari.

 

 

Il y a aussi des elfes pas très malins avec leur chef Poutougnette, Photo François Vila © P1017712.JPGdes pingouins sournois dont l’un, Gloogloo porte le chapeau de l’Empereur,

un méchant Père Fouettard heureusement virtuel (Jean-Claude Dreyfus),

une Princesse des Quatre saisons qui chante délicieusement, et des jouets animés.Photo François Vila © P1017081.JPG

Les costumes de Benjamin Lefebvre sont éblouissants, Photo François Vila © P1017316.JPG

et Claire Cohen y ajoute maquillages, perruques et postiches coruscants. Johan Nus, le chorégraphe a réglé les ballets, car ils sont nombreux en scène : Stéphane Roux, Edwige Chandelier, Gaëlle Pinheiro, Thibault Durand, Sarah Noëll, Gaëlle Pauly, Hélène Gallois, Sébastien Maviel, Emmanuel Leckner, Michele Tesoro, Daniel Delyon. Ajoutez une équipe vidéo (Flavien Larderet, Hugo Lemant, Ilan Zerrouki) performante.

 Les enfants trépignent d’aise dans cet univers "magique". Leurs accompagnateurs y retrouvent un peu de Chaplin, un peu de Tim Burton, de Tex Avery, et tout le monde est ravi de croire au Père Noël, et à la Mère Noël…

 

 

 

Photos : François Vila

 

Noël magique de William P. Korso

A l’Alhambra

01 40 20 40 25

tous les jours du 18 décembre au 2 janvier

puis les mercredi, samedis, et dimanche jusqu’au 15 janvier

12/12/2010

La marche de Bouzin

 

 

Il est beaucoup question de « mariage », ces temps-ci à la Comédie-Française : salle du Vieux-Colombier, avec Gogol, et salle Richelieu, avec Feydeau. Deux comédies brillantes que la troupe conduit avec brio.

Le sujet d’Un fil à la patte n’est pas original. Labiche, avec son Chapeau de paille d’Italie (1851) avait déjà montré un fiancé dans une situation très délicate. Mais chez Feydeau, les personnages sont plus complexes. Bois d’Enghien (Hervé Pierre), le noceur ruiné veut se renflouer par un riche mariage, mais il a un sacré « fil à la patte » qu’il ne peut pas dénouer. Il est toujours amoureux de Lucette (Florence Viala), une cocotte, qui ne cherche pas à se caser comme la plupart des demi-mondaines de l’époque. Le ressort de l’intrigue est dans cette contradiction. Ils s’aiment et ils doivent se séparer. Ce pourrait être Bérénice, mais l’enjeu n’est pas un empire, juste la dot d’une oie blanche, Viviane (Georgia Scalliet). La donzelle ne sait pas ce que le mari a « à faire » dans la maternité, elle trouve le divorce « très chic », et préférerait un « mauvais sujet » dont on porrait « citer les maîtresses » à ce monsieur qui n’a « jamais aimé qu’une seule femme, […] sa mère ». Ces paradoxes font sourire sa baronne de mère (Dominique Constanza), et réjouissent le public. Ils vont engendrer les quiproquos et le retournement final de situation.

On ne raconte pas une intrigue de Feydeau. On suit les personnages lancés dans la course folle qu’ils ont provoquée en croyant éviter un ennui. Et on admire les comédiens pétillants de drôlerie dans la peinture d’une société égoïste et prétentieuse. La distribution est éblouissante. Dix-huit rôles, sans compter les figurants, on voyait grand sous la Troisième république !

Florence Viala joue la séductrice tout en finesse chatoyante. Sous des airs naïfs, Giorgia Scalliet, donne à la pucelle, l’amoralité de la gourgandine. Elles ont la même taille de guêpe et le même battement de cils. Autour de la chanteuse adulée, la cour des admirateurs piaffe. Thierry Hancisse, le Général à la fois matamore et crapule, flamboie. Serge Bagdassarian est un Fontanet bouffon. Hervé Pierre compose un Bois d’Enghien fabuleux, véloce, infatigable. Guillaume Galienne est irrésistible, autant en Chenneviette l’écornifleur qui profite sans scrupule des bontés de la chanteuse, qu’en Miss Betting, l’institutrice un peu coincée de Viviane. Il incarne donc tour à tour les deux mondes qui se côtoient, se méprisent, et s’envient. Les nobles, leurs usages et les rites auxquels ils sacrifient, et le demi-monde qui s’est établi sur un argent pas très honnête. Entre eux, les domestiques balancent, frondeurs comme Jean (Jérôme Pouly) ou familiers comme Firmin (Christian Gonon).

Et puis, il y a Bouzin, le minable clerc aux chansonnettes stupides, contre lequel tous vont se liguer. Christian Hecq est inimitable. Il entre, se dandine, agile dans les moindres mouvements, électrique dans les sensations. On a beaucoup vanté le moon walk, il faut aujourd’hui glorifier le Bouzin walk ou, pour rester français, « la marche de Bouzin » au patrimoine du Théâtre. Il glisse, s’élève, suit la pente de l’escalier en remontant, puis ripe et coule vers le bas, élastique, oscillant. Sisyphe burlesque, il devient le héros incompris, le bien aimé du public mais le bouc émissaire des protagonistes. Le pauvre « en appelle à la postérité », ils lui répondent « au poste » ! Et ce n’est pas juste, il nous a tant fait rire !

On voudrait encore citer Claude Mathieu en Marceline ronchonne, Céline Samie en Nini sémillante, et surtout la précision avec laquelle, le metteur en scène, Jérôme Deschamps fidèle aux didascalies de l’auteur, dirige la troupe au millimètre près. Le décor de Laurent Péduzzi réplique sagement les salons puis le palier d’une maison bourgeoise. Les costumes de Vanessa Sannino sont d’une belle élégance, et Bruno Fontaine signe de jolis arrangements musicaux.

Qui a dit que la perfection n’était pas de ce monde ?

 

Un fil à la patte de Georges Feydeau

Comédie –Française, salle Richelieu

Jusqu’au 18 juin 2011

0 825 10 16 80