23/02/2006
Katherine Barker, la louve impudique
On l’appelait « la mère du crime ». Elle avait mis au monde quatre beaux garçons pas très sages à qui elle pardonna leurs premières incartades. Ils devinrent des gangsters. Elle les suivit et les encouragea dans le chemin du crime. Katherine Barker et ses fils alimentèrent la chronique du banditisme des années 20 aux Etats-Unis.
Le texte de Jean Audureau s’est d’abord intitulé À Memphis il y a un homme d’une force prodigieuse en 1966, Katherine Barker, depuis 1993. Le crime, s’il ne paie pas, fascine les écrivains… et leurs lecteurs, et les spectateurs.
Serge Tranvouez y voit une parabole sur la folie. Car Katherine Barker lit la Bible, va au Temple, chante des psaumes avec ses fils. Le texte d’Audureau parle de cette éducation-là. Il parle également des rêves de la petite fille qui s’appelait Kate Barker, et imaginait un monde plus juste. Katherine se révolte contre « les riches impitoyables et sans cœur », les pasteurs qui les soutiennent et prêchent la sévérité des mœurs, la rigueur de la loi. La mise en scène montre la gamine espiègle et rêveuse (Amandine Dewasmes) demandant des comptes à la matrone (Valérie Thomas) : mère sensuelle avec ses fils, froide avec son mari, le pauvre George Barker (Serge Gaborieau), qui finit par s’exiler dans les montagnes tandis que la louve lascive et impudique s’encanaille et que chacun « assouvit ses mauvais penchants ».
La scénographie de Jean-Christophe Choblet choisit une structure quasi élisabéthaine, avec une galerie haute qui double les trois « murs » de scène et construit autour du plateau un espace de refuge ombreux. Les lumières de Mathieu Ferry en sont plus contrastées. Le fond de scène se ferme et s’ouvre sur des tableaux aux références picturales. Tout est climat et beauté. Au bord du plateau, deux tables : l’une à jardin, où s’installe le journaliste Arthur Dunlop (Éric Laguigné), chroniqueur des méfaits des Barker, et amoureux de Katherine. À cour, les récitants : Sandra Rebocho et Yoann Demichelis, ils se déplacent, accompagnant les personnages, entrant dans le jeu de l’action, en un ballet minutieusement réglé. Attirés par le mal comme par la lumière, entre aussi dans la danse, le Docteur Joseph Moran (Fabrice Gaillard), plus charlatan que médecin, mais qui étudie un cas que Freud n’avait pas prévu.
La mise en scène de Serge Travouez souligne la fascination et la répulsion, l’étrange ambivalence de l’amour maternel, le détraquement de la société.
C’est un spectacle exceptionnel, âpre, mais qui charrie, comme le texte d’Audureau, des pierres précieuses dans leur gangue.
théâtre de la Ville/les Abbesses
01 42 74 22 77
jusqu'au 12 mars
Trilogie de Jean Audureau : Hélène, Katherine Barker, La Lève
éditions Actes Sud-Papiers, prix : 12, 5 €
15:00 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre | Facebook | | Imprimer
21/02/2006
Le désordre des choses
Caligula d’Albert Camus
On dit que le pouvoir rend fou. Et sans doute, l’empereur romain qui voulait que son cheval devînt sénateur, Caligula, en est-il un exemple saisissant.
À quel moment, Camus le fait-il basculer dans la folie ? Après la mort de Drusilla, sa sœur et sa maîtresse, égaré de chagrin, il erre dans la campagne, et en revient transformé. Il juge que la destinée de l’homme est absurde, et puisque le seul souci des patriciens est de remplir le « Trésor public », il va les avilir, s’emparer « arbitrairement » de leurs biens, et les faire mourir. Ainsi, espère-t-il « changer l’ordre des choses », ainsi procèdent les tyrans.
Avec Youssef Chahine, à la Comédie-Française, il y a quelques années, il ne manquait pas un peplum. Avec Charles Berling, qui met en scène et joue le rôle-titre, l’action est atemporelle. Christian Fenouillat a réalisé un décor d’une boîte de nuit satanique aux murs frangés de longs cheveux d’anges noir et argent qui captent une ondoyante lumière, et cernent le parquet sombre. Un piano à jardin, une table qu’on déplace de cour au centre, des costumes hétéroclites mais plutôt modernes, et un miroir, panneau brillant qui ne reflète personne.
Caligula commande, Caligula se moque, Caligula humilie, Caligula tue. Les despotes agissent ainsi, non par force, mais à cause de la veulerie de ceux qui les entourent et qui se plient à leurs moindres tocades. La démonstration est belle, le texte de Camus résonne des échos des dictatures en tout genre.
Mais à vouloir montrer trop de choses, le metteur en scène se disperse. Nombre d’objets sont inutiles et nuisent à l’attention du spectateur, à quoi bon mettre des haches et des cognées sur scène si personne ne s’en sert ? Le moniteur vidéo est-il utile, quand le tréteau, dans l’axe optique exalte le protagoniste ? Le rôle écrasant de Caligula est parfaitement assumé, mais autour de lui trop d’agitation, d'audaces, pas assez de conviction.
Heureusement, le texte passe, atteint le spectateur, l’oblige à réfléchir.
Théâtre de l'Atelier
01 46 06 47 49 24
16:05 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre | Facebook | | Imprimer
20/02/2006
Restaurer les vivants
Yasmina Reza était comédienne. Elle écrivait aussi. Gabriel Garran l’encouragea. Conversations après un enterrement fut créée en 1987 avec le succès que l’on sait. Aujourd’hui, Gabriel Garran la met en scène, sobrement, magnifiquement, dirigeant chaque comédien suivant la partition de son personnage. Ils acquièrent tous une profondeur, une épaisseur charnelle qui nous les rend sensibles. C’est ainsi qu’on donne à un texte une portée universelle.
On n'est jamais seul à un enterrement. Toute la famille se rassemble. On efface les rancœurs pendant la cérémonie. Ensuite les dissensions reprennent. Mais quelquefois, au bout des « conversations » viennent les aveux, les déchirements, le pardon, pour que la vie puisse continuer, et, comme on dit chez Tchekhov, « réparer les vivants ».
Nathan (Jean-Michel Dupuis), quarante-huit ans, a été le rival de son jeune frère Alex (Serge Hazanavicius), vingt-trois ans, et Élisa, trente-cinq ans les a abandonnés, trois ans auparavant. Les voici réunis pour l’enterrement du père, avec leur sœur, Édith, (Mireille Perrier) quarante-cinq ans et l'oncle Pierre, soixante-cinq ans, (Bernard Verley) venu avec sa femme Julienne (Josiane Stoleru). Élisa se tient « en retrait », comme le voulait l’auteur. La mise en scène de Gabriel Garran la place très loin du groupe familial accentuant la fracture dès la première scène. Elle est hors de la fratrie qu’elle a abîmée. Et sans doute resterait-elle à jamais exclue, si au moment de partir elle n’avouait à Nathan son amour « éperdu ». Et si, le hasard, on n’ose pas dire la Providence, s’en mêlant, sa voiture ne tombait pas en panne.
La scène est noire de murs et de plateau, chambre obscure (Décor de Florica Malureanu) oppressante, sans horizon, comme l’âme d’Alex, le frère abandonné, hargneux avec tous, même avec la douce Julienne dont les propos candides l’irritent. Impossible à vivre, il souffre. Il ressasse encore les vindictes enfantines, et n’a pardonné au père ni la gifle de ses douze ans, ni à Nathan son indulgence, ni peut-être son sacrifice, et aujourd’hui, chaque réflexion d’Édith devient pour lui une remontrance… Il déchire les autres comme Élisa l’a déchiré.
En vain, la réconciliation chemine. Les femmes se parlent. Puis, sur la tombe du père, Nathan retrouve Élisa, et brave l’interdit. Les lumières de Gaëlle de Malglaive cernent le couple dans un halo pâle et tendre, une auréole de bonheur, qui va filtrer peu à peu dans le groupe qui cherche encore ce qu’il a en commun.
L’orage, et le repas vont le reconstruire. Autour du pot-au-feu. Car les vivants, il faut bien que ça se restaure pour rester en vie! Ce « pot-au-feu », Nathan, l'a acheté. Édith, Pierre, Julienne, ont épluché les légumes sous les sarcasmes d’Alex qui trouvait les navets pourris. Il aura fallu bien des mots, des cris, des pleurs et des rêves, pour qu'il propose soudain de le « saupoudrer de tous les aromates vivants ». A qui d'autre attribuer l'épithète de vivants, sinon à ceux qui vont passer à table ? Manger le pot-au-feu, ensemble, c'est aussi lécher ses blessures.
Théâtre Antoine
Depuis le 18 janvier
01 42 08 77 71
13:25 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre | Facebook | | Imprimer