12/03/2006
Boulevard du rire
Daniel Mesguich n’a jamais été ce qu’on appelle un « rigolo ». Ne parlons pas des tragédies sanglantes comme Titus Andronicus, mais des comédies. Son Dom Juan était grave, ses Marivaux sérieux, et quant au drame romantique, sa Marie Tudor plus sublime que grotesque. Aujourd’hui il a voulu faire « un spectacle dont l’humour soit la loi ». Il s’y était essayé, il y a quinze ans, avec Boulevard du boulevard, il réitère avec Boulevard du boulevard du boulevard.
Pour le texte, le jeu consiste à reconnaître ce que les comédiens empruntent à Feydeau, Courteline, Labiche, Goldoni, Kafka, et d'autres. Pour le jeu, il s’inspire des burlesques américains, de ces sacrés Monthy Python, et de nos grands comédiens comiques, Louis de Funès, Darry Cowl, Jacqueline Maillan, enfin de tous ceux qui nous ont permis un jour de rire de notre voisin et de nous-mêmes.
Pour le spectacle, on pense aux Branquignols, qui mêlaient incongrûment les personnages, les interruptions et les irruptions intempestives, les catastrophes techniques, les apartés avec le public, le grossissement du trait, la répétition, le contre-emploi, le coq-à-l’âne et autres coquecigrues.
Quel plaisir de retrouver Christian Hecq ! Déjà dans La Main passe, Gildas Bourdet faisait éclater son génie comique. Ici, il sert encore Feydeau avec quelques scènes du Dindon, mais il est aussi un « Achille Talon » en caoutchouc, un héros de BD, un personnage de film à effets spéciaux. Il tangue, il culbute, il orbite, déplaçant sans effort apparent son centre de gravité. Stupéfiant !
Mais ne soyons pas injustes, Laurent Montel est aussi prodigieux, et il faut les citer tous car le spectacle ne tient qu’à eux. Odile Cohen, Antoine Dayres, Sarah Fuentes, Gaëlle Hausermann, Sarah Mesguich, Florence Müller, Éric Verdin, tous ces comédiens se sont entraînés à être aussi acrobates, danseurs, clowns, magiciens.
Le résultat ? Une salle entière qui pleure de rire.
Boulevard du boulevard du boulevard
Théâtre du Rond-Point
du 3 mars au 15 avril
08 92 70 16 03
21:30 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre | Facebook | | Imprimer
10/03/2006
Les scélérats du Belvédère
Avec cette comédie, Horváth peint un monde en délitescence. Quelle que soit la classe sociale dont il est issu, chacun a laissé toute espérance. Il ne reste que les plaisirs de la chair, et l’appât du gain. L’arrivée de Christine (Jeanne Henry) va les révéler encore plus scélérats.
Jacques Vincey, qui avait mis en scène avec Muriel Mayette, Les Danseurs de la pluie de Karin Mainwaring au Vieux-Colombier, et été l’assistant d’André Engel pour une autre pièce de Horváth, Le Jugement dernier, donne du Belvédère une version hardie.
On pourra lui reprocher de travestir les comédiens qui jouent le Baron et la Baronne. Mais avouez que c’était tentant. Ces faux-jumeaux qui n’ont de ressemblant que leurs cheveux roux, qui avouent que dans leur vie « il y a quelque chose qui ne tourne pas rond ». Les costumes sont atemporels. Pas de décor : juste une estrade composée de huit caissons qui, selon les actes, composent un espace différent, jouant sur l’horizontalité ou la verticalité. Au premier acte, un dédale de couloirs aboutit à une surface étroite, au second, un plateau figurant la salle à manger, au dernier, les caissons sont dressés, et deviennent les huit portes des chambres devant lesquelles chacun se rétracte et tente d’obtenir les faveurs de la naïve Christine. L’œil du spectateur s’attache à ces personnages laids et menteurs, et oublie jusqu’au moniteur de télé qui projette une image de ciel nuageux, de pluie battante, de lune dans un ciel nocturne tourmenté.
Les comédiens jouent avec leurs nerfs et les nôtres. On sort troublé, vaguement inquiet. Jacques Vincey a frappé juste.
Le Belvédère de Odön von Horváth
Théâtre de Gennevilliers01 41 32 26 26
11:20 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre | Facebook | | Imprimer
09/03/2006
Dommage qu’elle soit sa sœur
Giovanni (Laurent Poitrenaux) et Annabella (Fany Mary) s’aiment. Ils sont jeunes, beaux, fortunés, libres. Dommage qu’elle soit sa sœur ! Giovanni ne pourra pas épouser Annabella. Au royaume de l’Inceste, l’Amour et la Mort sont deux promis, et l’enfer les brûle sur terre comme dans l’au-delà.
Pour Dommage qu’elle soit une putain de John Ford, Yves Beaunesne a repris la traduction avec Marion Bernède. Sa mise en scène s’inscrit dans une scénographie de Damien Caille-Perret, en plan doucement incliné, sur un parquet de bois blond étrangement marqueté. Autour de ce plateau, des sièges et des prie-dieu sur lesquels les acteurs se poseront entre leurs scènes.
L’action commence dans un noir absolu, d’où s’élève, a cappella, une voix qui chante « perdone dio moi ». Un chœur de voix répond et reprend la prière, nourrissant l’émotion. La lumière monte à jardin tandis que le Frère Bonaventure (Mathieu Delmonté) s’écrie : « Ça suffit, j’en ai assez entendu ». Il tance Giovanni qui l’écoute, tête basse, pénitent agenouillé sur un prie-dieu. Un cadre étroit figure la porte de la cellule du moine qui exige le « repentir », interdit « la luxure ». Mais Giovanni n’écoute que sa passion…
Pas de ruptures matérialisées de temps ou d’espace. Tout s’enchaîne dans l’espace grâce aux jeux de lumière de Jean-Pascal Pracht. Quand Giovanni quitte Frère Bonaventure, le cadre s’enfonce dans le plancher. Soranzo (Philippe Demarle), le prétendant d’Annabella et Vasquès (Jean-Claude Fressung) son serviteur, surgissent du fond, dans la tradition des entrées du TNP de Jean Vilar. Puis Florio, (Henri Monin) le père, s’installe à l’avant, sur la gauche. Annabella qui se cache sous un immense drap, rampe, le long de l’arête droite tandis que la nourrice Putana (Claire Wauthion) lui donne de gaillards conseils pour choisir un mari.
Yves Beaunesne utilise ainsi la périphérie du plateau, puis les diagonales, enfin le centre, plaçant les comédiens sur l’échiquier du destin. C’est dans le drap que Giovanni et Annabella s’enroulent, au milieu du plateau. L’ombre complice obscurcit leurs ébats en ce nombril maternel recréé, tandis que la lumière dessine le périmètre où s’agitent Soranzo, « infâme prédateur », Hippolita (Hélène Cattin) la femme qu’il a séduite et abandonnée. Doña Anna attirait la justice divine sur Don Juan. Hippolita prépare un poison pour se venger, s’emploie à corrompre Vasquès, mais sera son propre bourreau.
Plus tard, quand il faut marier Annabella, enceinte de Giovanni, le drap limitera la chambre nuptiale, puis la chambre-prison où le mari outragé enferme « la putain ».
Des trappes s’ouvrent autour de ce lit, comme les péchés creusent les damnations. Giovanni ne se repent pas, au contraire, il brave les hommes, la loi, la religion pour rejoindre Annabella, la poignarder, lui arracher le cœur, et tuer ceux qui les ont séparés avant de s’embrocher sur le poignard du vengeur. Alors, le plancher du crime se dresse à la verticale, le drap roule à sa base, dans l’ombre du mur des supplices. Il ne reste plus que le valet, qui, comme Sganarelle, se lamente sur son sort, et le nonce en violet qui prononce l’anathème sur les amants maudits.
On admire ce retour à la simplicité, à la primauté du texte que servent brillamment tous les acteurs. La radieuse Fany Mary qui a remplacé Marion Bottolier souffrante, a appris en dix jours le rôle d’Annabella. Elle semble faite pour lui. Patrice Cauchetier a créé des costumes dont les couleurs s’apparient subtilement, riches sans clinquant, magnifiques.
La pièce va tourner en France, à Cherbourg, à Marseille, en banlieue parisienne, en Suisse, au Luxembourg, en Belgique, ne la manquez pas.
Spectacle vu à La Coursive de La Rochelle
10:10 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre | Facebook | | Imprimer