14/03/2015
Les libertins à Auteuil
En 2002, dans Baron, Jean-Marie Besset, comparait le penchant de Jean pour Michel à la relation de Molière avec Baron. Aujourd’hui, il y revient, et ressuscite, dans Le Banquet d’Auteuil, ce XVIIe siècle libertin, dont les grandes figures, homosexuelles ou bisexuelles, composèrent tant d’œuvres immortelles.
Qui était Baron (Félix Beaupérin) ? Un enfant de la balle. Ses père et mère étaient comédiens. En 1662, il devient orphelin et il entre, en 1665 dans la troupe « des petits comédiens de M. le Dauphin ».Il a douze ans. On dit que Molière (Jean-Baptiste Marcenac) le remarque en 1666 et l’engage, avec l’autorisation du roi. L’enfant a du talent et toutes les audaces. Armande est jalouse. Baron s’enfuit. Mais en 1670, une lettre de Louis XIV lui ordonne d’intégrer la troupe de Molière. Le maître le loge chez lui à Auteuil.
Et c’est là que Jean-Marie Besset situe l’action. L’écrivain Chapelle (Hervé Lassïnce), ami de Molière, a réuni « des illustres convives », ceux que les mêmes goûts assemblent :Lully (Frédéric Quiring) et son ami Osman (Suentin Moriot), Jonsac (Roman Girelli) et Nantouillet (Grégory Cartelier), Dassoucy (Dominique Ratonnat), écrivain et musicien, et son page un peu hérétique, Pierrotin (Antoine Baillet-Devallez).
Que des hommes ? Eh bien, l’heure des révélations a sonné…
Oh ! Bien sûr, certains seront déçus d’apprendre que Rostand, dans son Cyrano de Bergerac, avait édulcoré les choses. « Une robe a passé dans ma vie », lui faisait-il dire à Roxane. Cette robe fut plutôt un rhingrave puisque les chroniques de l’époque attestent que Cyrano (Alain Marcel) eut une liaison fort orageuse avec Dassoucy (Dominique Ratonnat).
Mais, direz-vous, Cyrano, est « depuis quinze ans […] chez les morts ».
C’est son ombre, de noir vêtue, qui préside aux agapes. Fantôme très concret puisqu’il va donner à Baron un exemplaire de son Pédant joué qui inspira Les Fourberies de Scapin. Molière transforme les personnages, la situation mais garde le « Qu’allait-il faire dans cette galère ? » Et parce qu’ « on riait », le Cyrano de Rostand disait à Ragueneau : « Il a bien fait !… »
Jean-Marie Besset aussi a « bien fait » de montrer, comment naît la création, et comment à partir du même thème, un auteur peut transcender un autre. Faut-il considérer que Le Banquet d’Auteuil inscrit Molière au cercle des homosexuels ? Ce serait dommage de n’y voir que cette dimension. « Mon Dieu ! Quelle désolation pour un être humain que d'être sexué. » disait Marina Tsvetaieva. Or, le sentiment intense qui unit le maître et son œuvre, le maître et son disciple, est en vérité une forme narcissique de l’amour. Il est indéniable que Molière a « fait » Baron et qu’il entretient avec lui ce que nous appelons le « complexe de Pygmalion ».
Ont-ils consommé ? À vrai dire, on s’en fout… On pourrait parodier Rostand pour écrire Molière a du génie et Baron un beau cul", mais ne faut-il pas mieux écrire : « Molière a du génie et Baron du talent. » Si on veut s’attarder à l’aspect historique, il reste cependant une énigme. Pourquoi Baron quitte-t-il la scène en 1692, à trente-neuf ans et pourquoi y revient-il à soixante-sept ans ?
Jean-Baptiste Marcenac et Félix Beaupérin font résonner le verbe magnifique de Jean-Marie Besset. On y entend des alexandrins qui rythment sa prose. On y retrouve aussi l’écho du fantastique poétique de Cocteau.
Régis de Martrin-Donos met en scène la « folle nuit » à laquelle Molière, fatigué, ne participe que pour dissuader ses amis de rejoindre Cyrano dans le royaume des morts. Des changements à vue, conduits par les comédiens, soutenus par la musique de Jean-Pierre Stora, modifient l’espace et le temps avec fluidité. La lumière de Pierre Peyronnet accentue les changements de tempo. Et le public, comme on disait au Grand Siècle, est sensible au « charme » des dix comédiens.
Photos : © LOT
Le Banquet d’Auteuil de Jean-Marie Besset
Théâtre 14
Jusqu’au 25 avril
01 45 45 49 77
mardi, vendredi, samedi, à 20 h 30
mercredi et jeudi, 19 h
samedi, 16 h
19:51 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, jean-marie besset, molière, baron | Facebook | | Imprimer