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06/05/2012

Ils ne mouraient pas tous


 

Dans les récits de la grande peste qui ravagea la population de Londres en 1665, les témoignages concordent. Daniel Defoe et Samuels Pepys sont formels : ce sont les pauvres qui meurent d’abord et en grand nombre « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ». Le roi a fui Londres avec quelques privilégiés. Le petit peuple crève, les bourgeois se terrent chez eux. Nul ne peut sortir de sa maison ni  de la ville sans autorisation. L’auteur américaine, Naomi Wallace en a fait une pièce : Une puce, épargnez-la. 

Snelgrave (Guillaume Gallienne) et sa femme Darcy (Catherine Sauval) guettent derrière leurs volets clos de l’extérieur par Kabe (Christian Gonon). Leurs domestiques sont morts, ils sont cloîtrés dans les seules salles où « personne ne soit mort », la cuisine et une antichambre. Malgré la surveillance, malgré les barrages, deux intrus s’infiltrent dans ces lieux d’angoisse : un jeune homme aux pieds nus qui dit être marin, Bunce (Félicien Juttner), une gamine, Morse (Julie Sicard) à robe de soie qui prétend être la fille d’un lord décédé.

Indiscrets, insoumis, franchement insolents la petite Morse se révèle « une peste », car elle n’a peur de rien. Bunce, dont la blessure suppure, ne triche ni avec les mots, ni avec les apparences. Si Snelgrave accepte d’emblée la petite « nous vous aimerons comme notre fille parce que vous êtes des nôtres », il se plaît à humilier Brunce, à lui rappeler sans cesse ce qui les sépare.

Enserrés dans des habits noirs à col de dentelle blanche amidonnée (costumes d’Anne-Laure Liégeois et Renato Bianchi), les Snelgrave ont la raideur des puritains, mais sous leurs gaines cachent de brûlantes appétences. « Les beaux habits ne sont pas toujours la preuve de jolies mœurs. » La promiscuité délace les corsets, met à vif des plaies mal cicatrisées, exhume les passions enfouies. Bas les masques ! Toute barrière est abolie.

Mais si la fille du lord n’est que sa servante, Julie Sicard se mue en ange de la mort. Si la prude épouse devient adultère, Catherine Sauval lui donne la figure d’une femme douloureuse. L’hypocrite Snelgrave expie et Guillaume Gallienne prend une figure de saint. Christian Gonon et Félicien Juttner confèrent à leur personnage une dimension christique. 

Dans la mise en scène (et scénographie) d’Anne-Laure Liégeois les murs reculent suivant une diagonale de folie, des corbeaux envahissent l’espace, appeaux du refoulement des désirs, métaphores de la rapacité des hommes. Chaque séquence est ponctuée par un noir brutal, fin illustrée par une musique aérienne au clavecin, comme un oxymore ironique.

La lumière de Marion Hewlett cerne les personnages, les emprisonne dans l’ergastule protégé des miasmes du dehors. Ils ne mourront pas tous, pourtant, rien ne les défendra contre elle. Ni leur argent, ni leur remords, ni leurs promesses n’effaceront les injustices et les fautes.

Mais qui peut sortir indemne d’un tel désastre ?

La pièce de Naomi Wallace, traduite par Dominique Hollier, tient de la parabole sociale, elle va heurter les bonnes consciences. 

 

 

 

 

 

 

Une puce, épargnez-la de Naomi Wallace

Comédie-Française, théâtre éphémère

Du 28 avril 2012 au 12 juin 2012

www.comedie-francaise.fr

27/09/2011

Les Jeux de l'amour

 

 

 

Marier sa fille est délicat, tous nos grands auteurs dramatiques nous l’ont expliqué. Quand M. Orgon (Christian Hecq) s’en avise, lui qui a décidé d’être « trop bon pour l’être assez », se plie aux souhaits de Silvia (Léonie Simaga) qui s’est aperçue que les maris portent un « masque » pour la société, et « une grimace » pour leur femme. Elle se méfie, la belle, et elle obtient de son père qu’il la laisse prendre le déguisement de Lisette (Suliane Brahim), sa servante. Le « hasard » fait que, de son côté, le jeune homme qu’on lui destine, Dorante (Alexandre Pavloff), en a fait de même avec son valet Arlequin (Pierre-Louis Calixte). L’amour fera le reste.

Dans une délicieuse comédie, Marivaux nous montre en cinq actes, Le Jeu de l'amour et du hasard, toutes les surprises de l’amour, sa cruauté, et comment tout s’arrange quand on aime suivant sa condition.

On a vu souvent Marivaux déformé, sous prétexte d’être dépoussiéré ou actualisé. Mais Galin Stoev, heureusement pour nous, n’a cédé à cette tentation moderniste que dans la dispersion de chaises assez laides. Une bagatelle, car sa mise en scène est un bonheur ! Certes, il a décidément un penchant pour les cloisons de verre, mais dans une maison où le père et Mario, (Pierre Niney) le frère de Silvia, - seul dans la confidence - épient ce qui se passe, la transparence se comprend. Et quelle idée lumineuse de montrer un Mario féru des sciences expérimentales de son époque ! Dans quelques années, cet homme-là souscrira à l’Encyclopédie des Lumières, c’est certain !

Les costumes de Bjanka Adžić Ursulov avec leurs couleurs claires, pour les maîtres, chatoient du blanc à l’orangé, à peine cassées de gris pour le manteau du père. Les domestiques sont en noir, couleur de servitude et de douleur.

Léonie Simaga est adorable, Suliane Brahim pétillante, Alexandre Pavloff mélancolique et Pierre-Louis Calixte maladroit et tendre. Quant à Christian Hecq débonnaire, et malicieux, il est inimitable. Renouvelant le jeu des Italiens, qui créèrent la pièce en 1730, les apartés de la commedia s’adresse directement au public.

De quoi offrir aux classes de lycée, venues voir les Comédiens français une vraie chance d’aimer le Théâtre et de comprendre Marivaux !

 

 

 

Le Jeu de l’amour et du hasard

Comédie-Française au 104 du 23 septembre au 4 octobre

Puis Salle Richelieu du 11 octobre au 31 décembre.

http://www.comedie-francaise.fr