06/02/2015
Le labyrinthe des rencontres
Nous sommes un peuple rationaliste qui n’aime rien laisser au hasard. Et cependant nous sommes fascinés par les auteurs, qui, comme Mario Diament, pensent que « toute rencontre fortuite renferme la complexité de l’univers ».
Les poètes, ont quelquefois peint cette intuition mystérieuse foudroyante qui fait regretter la passante, « fugitive beauté »[1] qu’on ne retrouvera « que dans l’éternité ». Antoine Pol se plaint de ne pouvoir retenir celles « qu’un destin différent entraîne » et Paul Éluard affirme : « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous. »
C’est à ces rendez-vous que Mario Diament nous convie dans Blind Date, où « blind », est à la fois le vieil aveugle, figure de sagesse, instrument du destin, lui-même soumis à cette sorte de « réalisme magique » propre à Borges, l’écrivain que la cécité ouvrit au fantastique.
Sur le banc de ce jardin de la place San Martin, à Buenos Aires, l’Écrivain aveugle (Victor Haïm) vient souvent, et les passants s’arrêtent pour lui parler. Et, bien qu’il ne voie pas, émane de lui un tel discernement, que chacun lui confie ce qu’il n’ose pas dire à ses proches, tant il est vrai, comme disait Blanche Dubois[2] qu’on a « souvent confiance en la bonté des inconnus ».
Ainsi, viendront, tour à tour, L’Homme mûr (André Nerman) qui hésite sur sa vie, la jeune artiste (Ingrid Donnadieu), qui refuse le conformisme de ses parents, et la Femme (Dominique Arden), qui sait qu’elle a raté sa vie.
Chacun parle de ses regrets, de ses espoirs, du temps destructeur, du réel et du rêve. Chacun en s’interrogeant sur soi-même, parle de l’autre, et les fils se nouent, se rejoignent, se dénouent. Le vieil écrivain aussi laisse des confidences s’échapper et les temporalités se mêlent tandis qu’une Psychologue (Raphaëlle Cambray), dans l’intimité d’un cabinet, retrace les chemins communs.
Dirigés par John Mac Lean, les comédiens sont d’une justesse émouvante. Sur ce plateau nu, le spectateur imagine l’extérieur ou l’intime, et les comédiens font vivre « l’amour inévitable » dans les lumières de Frédéric Serve. Les costumes de Françoise Arnaud évitent toute temporalité et c’est à une sorte de rêve romanesque que le spectateur participe.
Chacun finit par croire qu’un « fait sans importance peut changer le cours de (sa) vie » et que « dans le labyrinthe des rencontres », l’amour revient toujours…
Photos : © LOT
Blind date de Mario Diament
Texte français de Françoise Thanas
Théâtre de la Huchette
01 43 26 38 99
Du mardi au samedi à 21 h, samedi 16 h
16:00 Écrit par Dadumas dans Blog, danse, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre de la huchette, mario diament, victor haïm | Facebook | | Imprimer
24/09/2011
La Femme qui cause
Avec La femme qui frappe, nous voici revenus en « un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », celui des machines à écrire. L’auteur, Victor Haïm, qui ici, met aussi en scène, situe l’action au moment où l’homme a marché sur la lune. Et plus précisément, le lendemain de la fameuse nuit du 21 juillet que « la femme qui frappe » (Marianne Soumoy) a passé à taper le manuscrit d’un roman « long comme la Bible racontée par un bègue à quelqu’un qui est dur de la feuille. ». Douze mille pages !
Elle semble épuisée, les courriers porteurs de nouveaux feuillets se succèdent. Mais nécessité fait loi, et si elle trime comme une damnée, c’est pour pouvoir acheter le sapin de son bien-aimé, qui, pour l’instant repose, dans une paix précaire, sur le divan de son triste logis.
Et elle est scrupuleuse, elle hésite devant une virgule. Elle se permet de déranger l’auteur… Il est d’abord gentil, alors, elle ne frappe plus, elle cause. Elle s’épanche, et l’autre au bout du fil, l’humilie.
Marianne Soumoy met dans son personnage la gouaille populaire d’une Arletty, elle y met aussi du désespoir, de la colère. Elle est « épatante, cette petite femme-là » !
On vous annonce un « cauchemar drolatique », vous vivrez avec cette farce noire, la vie d'une femme qui se débat pour garder la dignité qu’un homme méprise, et pourtant, vous en rirez ! C’est tout l’art de Victor Haïm !
La femme qui frappe de Victor Haïm
Ciné 13 théâtre
01 42 54 15 12
23:12 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, victor haïm, marianne soumoy | Facebook | | Imprimer