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26/02/2006

Ohne, le canard boiteux

 

Ohne (Yves Arnault) est sans emploi. Il est aussi sans comme son nom l’indique, puisque, en langue germanique, le privatif « sans » se traduit par « ohne ». Il ne dit jamais « je », il s’exprime sans pronom personnel, il est sans place dans la société, et privé de langage. Il bute sur les mots, il les cherche, et eux se cachent dans les brumes de sa tête fatiguée par les « soporifiques », ébranlée par les trépidations d’un marteau-piqueur. Il boite du langage. Et l’époque n’est pas tendre pour les canards boiteux.
Il était déjà peu fréquent de voir, sur scène, le monde du travail, mais représenter l’organisation du « non-travail », ou plutôt comme on dit « des demandeurs d’emploi », s’avère rarissime ! Et voici, qu’après « la Sardine et le Porte avions » dans Dieu habite Düsseldorf, on découvre Ohne.
Après l’humour noir de Sébastien Thiéry, le comique fantastique de Dominique Wittorski sur le même sujet : « l’inadapté dans notre société » !
Moitié belge, moitié français, moitié polonais et autre, dit, de lui, Dominique Wittorski qui connaît l’art avec lequel le César de Pagnol dosait ses apéritifs dans Marius. Il y a du Courteline dans sa peinture des fonctionnaires, et son art de décortiquer les ambiguïtés de la langue, mais avec la tendresse d’un Dario Fo pour ses personnages. On retrouve le verbe truculent de Crommelynck et son art du nonsense. On reconnaît l’art du fantastique et la parodie de Gombrovicz, mais on pourrait aussi trouver d’autres influences afin de le rattacher à la lignée des grands auteurs. Quant à celle des metteurs en scène remarquables, il tient ses références de l’Institut National Supérieur des Arts du Spectacle à Bruxelles, et elles sont aussi cinématographiques : inclassable Dominique Wittorski, et forcément… gênant pour notre manie française de ranger les gens dans des cases soigneusement étiquetées. D’autant que cet homme, véritable protée artistique, est aussi comédien ! En effet, dans les trois tableaux qui se jouent à l’ANPE entre Ohne et trois employés différents, il sera le troisième, le plus drôle et aussi le plus émouvant, parce qu’il partage le malheur d’autrui jusqu’à s’en effondrer. Le premier (Alexandre Aflalo) a essayé d’apporter de l’aide, charitablement, comme un jeune homme bien élevé qui en réfère, par téléphone, à sa maman. Le second, (Raphaël Almosni) d’abord agacé par cet ignorant s’aperçoit que le réel ne bouscule pas seulement son horaire, mais remet en cause ses convictions. Il s’apitoie alors, comme le premier.
Mais ce qui plonge ces trois fonctionnaires dans les enfers du doute, et les rend exorables, c’est l’apparition éblouissante de la mère de Ohne. Bernadette Le Saché, lumineuse, irradie d’amour envers ce gros ours qu’elle n’a pas su lécher et qui reste pour la société un vilain petit canard. Elle parle bien, elle, la mère, elle n’oublie ni les pronoms, comme le Ohne du premier tableau, ni les verbes comme le Ohne du second, ni les noms comme dans le dernier. Mais c’est parce qu’elle est morte, vingt ans auparavant. « Je parlais comme ça, avant. » affirme-t-elle. D’où sort-elle ? « de lui ». Et c’est évident pour Ohne, comme pour le spectateur. Pourquoi vient-elle ? Parce qu’il a besoin d’elle, pour qu’elle l’explique aux autres, le sermonne et le câline.
L’intrusion du surnaturel illumine la scène tristement quotidienne où le fonctionnel règne. Elle est fine, fragile comme une ombre, face à l’athlétique Yves Arnault qui s’empêtre dans ses gestes saccadés comme dans ses phrases. Il est la matière brute, mal dégrossie et qui cache des trésors de bon sens. Il attendrit la salle entière.
Tragique est son histoire. Mais on rit. Non de ses manques, mais des nôtres, de ceux de notre société qui ne sait plus protéger ses faibles. Et on sourit à la mère, on sourit à cet auteur qui réveille un peu nos consciences.

 

 


 

Ohne de Dominique Wittorski
Théâtre de l’Est Parisien
Du 24 février au 19 mars
01 43 64 80 80

14:25 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre |  Facebook | |  Imprimer

24/02/2006

Les diables aux Mathurins

Sébastien Thiéry a écrit Dieu habite Düsseldorf, c'était pour deux personnages. Christophe Lidon, le metteur en scène fait jouer ces saynètes délirantes par trois comédiens, l'auteur, sa soeur de télévision, Marie Parouty, et un clown triste, Artus de Penguern, actuellement au Théâtre des Mathurins.

C'est tragique et pourtant on rit. Les psychanalystes vous diront que c'est pour évacuer l'angoisse. C'est aussi pour retrouver, dans un univers d'humour noir, la valeur de la vie.

 

Théâtre des Mathurins

01 42 65 90 00

Avant-Scène Théâtre, prix : 11 €

 

13:40 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre |  Facebook | |  Imprimer

23/02/2006

Katherine Barker, la louve impudique

 

On l’appelait « la mère du crime ». Elle avait mis au monde quatre beaux garçons pas très sages à qui elle pardonna leurs premières incartades. Ils devinrent des gangsters. Elle les suivit et les encouragea dans le chemin du crime. Katherine Barker et ses fils alimentèrent la chronique du banditisme des années 20 aux Etats-Unis.
Le texte de Jean Audureau s’est d’abord intitulé À Memphis il y a un homme d’une force prodigieuse en 1966, Katherine Barker, depuis 1993. Le crime, s’il ne paie pas, fascine les écrivains… et leurs lecteurs, et les spectateurs.
Serge Tranvouez y voit une parabole sur la folie. Car Katherine Barker lit la Bible, va au Temple, chante des psaumes avec ses fils. Le texte d’Audureau parle de cette éducation-là. Il parle également des rêves de la petite fille qui s’appelait Kate Barker, et imaginait un monde plus juste. Katherine se révolte contre « les riches impitoyables et sans cœur », les pasteurs qui les soutiennent et prêchent la sévérité des mœurs, la rigueur de la loi. La mise en scène montre la gamine espiègle et rêveuse (Amandine Dewasmes) demandant des comptes à la matrone (Valérie Thomas) : mère sensuelle avec ses fils, froide avec son mari, le pauvre George Barker (Serge Gaborieau), qui finit par s’exiler dans les montagnes tandis que la louve lascive et impudique s’encanaille et que chacun « assouvit ses mauvais penchants ».
La scénographie de Jean-Christophe Choblet choisit une structure quasi élisabéthaine, avec une galerie haute qui double les trois « murs » de scène et construit autour du plateau un espace de refuge ombreux. Les lumières de Mathieu Ferry en sont plus contrastées. Le fond de scène se ferme et s’ouvre sur des tableaux aux références picturales. Tout est climat et beauté. Au bord du plateau, deux tables : l’une à jardin, où s’installe le journaliste Arthur Dunlop (Éric Laguigné), chroniqueur des méfaits des Barker, et amoureux de Katherine. À cour, les récitants : Sandra Rebocho et Yoann Demichelis, ils se déplacent, accompagnant les personnages, entrant dans le jeu de l’action, en un ballet minutieusement réglé. Attirés par le mal comme par la lumière, entre aussi dans la danse, le Docteur Joseph Moran (Fabrice Gaillard), plus charlatan que médecin, mais qui étudie un cas que Freud n’avait pas prévu.
La mise en scène de Serge Travouez souligne la fascination et la répulsion, l’étrange ambivalence de l’amour maternel, le détraquement de la société.
C’est un spectacle exceptionnel, âpre, mais qui charrie, comme le texte d’Audureau, des pierres précieuses dans leur gangue.

 

théâtre de la Ville/les Abbesses

01 42 74 22 77

jusqu'au 12 mars


Trilogie de Jean Audureau : Hélène, Katherine Barker, La Lève

éditions Actes Sud-Papiers, prix : 12, 5 €

15:00 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre |  Facebook | |  Imprimer