24/03/2008
Un entomologiste avisé
Betty (Émilien Tessier) est seule dans sa cuisine. Elle attend une visite. Elle s’affaire, prépare une grande salade au thon, et se verse de petits verres de rouge, pour se donner du coeur. Enfin « les voilà ! »* : Ruth (Florence Giorgetti), Nelly (Hélène Foubert), Hervé (Nicolas Maury). Ils arrivent avec un bouquet de fleurs et des sourires appliqués qui étirent leurs lèvres et réjouissent leurs visages. Ils parlent tous en même temps, pour ne pas dire grand-chose. Nelly vient de trouver du boulot dans une « coffee shop », Hervé est graphiste, et Ruth qui « vit avec son mari par intermittences », prend des photos « pour immortaliser cet instant ». Betty, « bien tranquille » dans sa petite maison, s’endort par moments, mais « trouve que le courant passe bien entre » eux. Ils reviendront !
« Ainsi le temps se coule et le présent fait place/Au futur importun », disait Ronsard. Ainsi « le temps passe » de visite en visite. Ainsi la vie passe. Un jour, la pétillante Ruth cesse les va et vient, et reste à demeure chez Betty « vieille femme seule », « ordinaire », mais toujours alerte dans sa robe indémodable. Entre vieillardes, faut s’entr’aider, n’est-ce pas ?
En interprétant un rôle féminin à l’âge où toute féminité est déniée, Émilien Tessier est remarquable de sobriété. Nicolas Maury donne un être irritable, souvent arrogant et maladroit. Hélène Foubert joue une jeune femme inquiète et sensible. Florence Giorgetti est Ruth, brouillonne et exubérante dont les sautes d’humeur annoncent un déséquilibre certain. Elle met aussi en scène avec le dynamisme et le brio qu’on lui connaît, dans une scénographie naturaliste et des lumières de Laurent P. Berger.
Philippe Minyana, en entomologiste avisé, s'amuse de voir s'agiter ses personnages « entre banal et extravagance ». Pas de grands sentiments, pas d’attendrissement, pas de drame, mais la lente décrépitude qui mène chacun vers la mort, cette solitude éternelle qui ne sera pas plus triste que l’existence qu’ils ont menée. Pauvres vies ? Ce sont les nôtres.
Le regard est lucide, jamais affligé. Ruth chante, Betty danse le madison avec ses amis. Les tableaux sont vifs, souvent joyeux, les rapports entre les êtres se nouent, se distendent, mais jamais ne se rompent.
Le réel est toujours plus désespéré.
Voilà de Philippe Minyana
publié aux éditions de L'Arche
Au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 25 avril
01 44 95 98 21
22:10 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre, littérature | Facebook | | Imprimer
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