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20/05/2008

Étrange voix du sang

     Le roi Térée enlève Philomèle sa jeune belle-sœur, la viole, la séquestre, en la faisant passer pour morte. Procné, son épouse, se venge en assassinant Itys, leur propre enfant qu’elle offre en repas à Térée. Horrifié, Térée veut se venger, mais les dieux transforment Procné en hirondelle, Philomèle en rossignol, tandis que des serres d’épervier* poussent à Térée. Beaucoup de gens ignorent l’histoire du roi de Thrace. Mais tout le monde a entendu parler de ces adolescentes, victimes sexuelles, soumises par leurs proches à des accouplements criminels. En accrochant Ovide et le chapitre VI de ses Métamorphoses aux monstres de l’actualité de notre siècle, Philippe Minyana montre la prégnance des « mythologies ».

     Philippe Minyana réussit l’audacieux transfert. Il remplace les noms des personnages par des notions qualificatives : Térée est « le jeune Roi », son épouse est simplement « la reine », et la jeune sœur devient « la petite », ou mieux, « la gamine ». Et Marcial Di Fonzo Bo, le metteur en scène gomme tout réalisme, en faisant incarner les deux sœurs par la même personne, Catherine Hiegel. De même, Benjamin Jungers est successivement le père, bourreau monstrueux puis le fils, victime expiatoire. Raoul Fernandez joue « une compagne de la reine », suivante sans âge, sans sexe, témoin du chagrin, complice de la vengeance.

     « La petite belle-sœur » s’avance en robe brodée de coton blanc, dans la pénombre du plateau nu. « Le jeune roi », décrit autour d’elle des cercles concupiscents. L’enfant s’affole, mais, ainsi que le dit Ovide « tout est aiguillon », « tout excite son délire ». « Ni les prières, ni les larmes »  n’arrêteront les violentes pulsions de l’adulte. Pas de liquide organique giclant, « y’a du sang », dit « la gamine », mais c’est juste une tache indélébile sur la chemise d’innocence.

     Pour figurer la bergerie, une demi cloison de planches, côté cour. Pour représenter le palais, une chaise tapissée de velours à jardin. La scénographie d’Anne Leray est conçue avec peu de décors, mais des accessoires et des costumes signifiants. Quand la Reine vêtue de satin damassé rouge apprend la mort de « la petite », elle quitte la pourpre pour les voiles noirs. Quand elle a déchiffré la toile où la petite a « tissé le récit » de l’horreur, elle décide de profiter des fêtes de Bacchus, pour aller délivrer la prisonnière. Elle abandonne sa robe de deuil pour ceindre la cotte de maille et « l’habit des Bacchantes ». Quelques armures vides évoquent « ses compagnes ». « Haine ! ne faiblis pas ! », commande-t-elle, puis, plus tard, se retournant en chemise de lin, la même voix geint « Mon calvaire m’a rendue folle ! », et, en latin elle en fait le récit. L’art de Catherine Hiegel crée la formidable illusion que grande sœur ou petite sœur, leur ennemi est le même. Le fils est jeune, beau, fragile, mais impétueux, il ressemble à son père. Le même Benjamin Jungers incarne donc l’angelot ébloui et le démon sournois. C’est par l’enfant qu’il faut « atteindre » le père. « Je t’ai donné la vie, je vais te la reprendre », dit la reine qui ajoute cette terrible confidence : « on n’imagine pas ce que c’est que de tuer son enfant ».

     Étrange voix du sang ! Le châtiment s’abat sur l’homme hypocrite, et les femmes, qui n’ont plus rien d’humain, se « métamorphosent » et « s'envolent ».

     Muriel Mayette, administrateur général de la Comédie-française, avait souhaité « sortir la maison de Molière de ses murs », et cette adaptation, est le fruit de son projet. Elle voulait « travailler ailleurs », « avec d’autres équipes », dans « d’autres paysages, pour un autre public », avant de ramener le « classique revisité » au studio de la Comédie-Française. L’essai est concluant, l’expérience positive. Doutait-on en haut lieu de la légitimité du Centre Dramatique National de Gennevilliers ? * Suivant les récits (ou les traductions), les oiseaux diffèrent. Les Métamorphoses, La petite dans la forêt profonde

Théâtre 2 Gennevilliers

Jusqu’au 15 juin

01 41 32 26 26


 

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