22/03/2009
Fête à Munich
Oktoberfest bat son plein. Les vieux, Rauch (Alain Libolt), Speer (Charles-Roger Bour) sont venus pour boire et lutiner les filles jeunes et fraîches. Les jeunes hommes, Franz Le Merkl (Gérard Maillet), Erna (Sarah Karbaniskoff), imitent les vieux. Ils s’enivrent de bière, de sensations fortes et se lancent des défis.
Casimir (Thomas Durand) et Caroline (Sylvie Testud), s’aimaient d’amour tendre, mais Casimir a perdu son emploi, et l’angoisse du lendemain le tenaille tant qu’il veut prendre ses distances avec elle. Elle voulait se distraire, admirer le zeppelin, s’étourdir sur les montagnes russes, manger des glaces, rêver au cinéma, rire un peu après le travail, Casimir cherche tous les prétextes pour se quereller. Et de scènes de dépit, en disputes, il la "plaque", la jette dans les bras du premier venu, Schurzinger (Hugues Quester). Elle le trahit, et le malheur s’installe.
Casimir et Caroline d’Ödön von Horváth, peint le Munich des années trente, un monde qui se décompose, où la crise pervertit les comportements. La peur du lendemain ruine tout espoir. Les meilleurs abandonnent tout idéal, les pires exacerbent leur violence primitive. Le peuple badaud et joyeux, devient populace, car tout est fait pour l’avilir. Les jeunes gens désœuvrés se transforment en gangsters ou en nervis, les jeunes filles innocentes en prostituées. En une nuit semblable à celle de Walpurgis, tout est perdu, même l’honneur.
Pour rendre compte de ce désastre, Emmanuel Demarcy-Mota ne lésine pas. Il dirige sa troupe dans un ballet terrifiant où tous les accessoires de Clémentine Aguettant ont une fonction dramatique. Sur le vaste plateau, dans l’imposante scénographie et les lumières tout en contrastes expressionnistes, signées Yves Collet, un comédien joue souvent plusieurs rôles. Olivier Le Borgne (Oscar, Juanita, un automate), Walter N’Guyen (Walter, un automate), Cyril Anrep (un soldat, le directeur des phénomènes, le Médecin), Laurent Charpentier (le bonimenteur, Lorenz), Muriel Ines Amat (Maria), Ana das Chagas (Ella, une siamoise), Gaëlle Guillou (Emma, une siamoise), Céline Carrère (Eva ), Sandra Faure (Ida, la femme du cinéma), Pascal Vuillemot (Rudolph, le monsieur du cinéma, l’homme bouledogue), Stéphane Krähenbühl (un soldat, un infirmier), Constance Luzzati (une jeune fille, la pianiste), donnent l’illusion d’une foule grégaire qui va de stand en stand quêter rires et ivresse. Tout est authentique dans ces chansons à boire (travail vocal : Maryse Martines), les figures qu’elles imposent scandées par un rythme menaçant, les cris de joie, les peurs mimées ou réelles, les insultes, les coups, la vulgarité. Compositions et environnement sonore de Jefferson Lembeye conduisent au paroxysme de la haine. Les images vidéo de Mathieu Mullot transportent le spectateur au cœur de ce vertige, au bord de l’abîme, vers la chute d'uneRépublique dont les citoyens ne savent plus "pour qui voter".
Les comédiens sont poignants dans les grands rôles comme dans les plus petits. On pensera longtemps à Pascal Vuillemot, à Olivier Le Borgne à l’épouvante et la pitié qu’ils suscitent dans la scène des monstres, au trouble qu’ils font naître dans les luttes viriles des jeunes hommes, à Gérard Maillet ange du mal, orgueilleux et déchu. On n’est pas prêts d’oublier la silhouette nerveuse de Sylvie Testud, juchée sur ses talons pointus, et promenant son air désemparé. On se souviendra des gestes retenus de Thomas Durand, partagé entre le désarroi et la colère, d’Hugues Quester qui se voûte, écrasé par la veulerie de son personnages, de l’envolée des jupes des midinettes inconscientes, ou qui feignent de l’être, glissant et gloussant, aguichant les hommes. On retiendra Charles-Roger Bour et Alain Libolt, engoncés dans des manteaux qui dissimulent l'hypocrisie (Costumes : Corinne Baudelot) des maîtres, patron et juge, et ces tableaux de fête qui maquillent la crise.
La pièce d’Ödön von Horváth, appartient aux grandes œuvres de l’esprit, François Regnault en donne une nouvelle traduction vigoureuse, la mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota éclaire l’œuvre et les événements qui vont anéantir l’Homme.
On ne s’abandonne pas à un tel spectacle, on souffre d’y découvrir une éternelle vérité, celle qui nous attend peut-être, si on ne connaît pas celle-ci.
Casimir et Caroline d’Ödön von Horváth
jusqu’au 17 mars au Théâtre de la Ville
01 42 74 22 77
puis en tournée
Coursive de La Rochelle 1er, 2 avril
Comédie de Reims 7 au 11 avril
Quartz de Brest, 22-24 avril
Grand T de Nantes, 11- 20 mai
TNB de Rennes, 27 mai-6 juin
10:24 Écrit par Dadumas dans culture, Histoire, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, littérature, histoire, horvath, demarcy-mota, testud | Facebook | | Imprimer
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