20/02/2013
Drôles de vivants !
On connaît la verve grotesque de Gogol dans Le Revizor (1836), où il brosse un tableau au vitriol d’une société provinciale corrompue avec ses hobereaux vaniteux, ses fonctionnaires vindicatifs et ses moujiks misérables, abrutis par des siècles d’obéissance apeurée.
Quand il écrit Les Âmes mortes, Gogol cultive cette vis comica.
De ce roman dont la deuxième partie demeura inachevée, Anton Kouznetsov et Laurent Lejop tirent une adaptation théâtrale réjouissante, à la fois récit et jeu avec trois comédiens pour interpréter une quarantaine de personnages.
La scène commence avec Hervé Briaux incarnant l’auteur, inconsolable de la mort de Pouchkine, son maître, à qui il voue un véritable culte. Dans le mur du fond une femme chante sur un balcon. Elle sera la Femme universelle, lui sera l’incarnation de la Russie éternelle avec tous ses propriétaires terriens possesseurs d’esclaves. Puis entre en scène, accompagné d’une musique clownesque, le protagoniste de la fable, Tchitchikov (Laurent Manzoni), un escroc en costume de shantung rouge vif aux reflets sombres.
Tchitchikov a imaginé une arnaque infaillible. Comme le recensement terrien ne se fait que tous les cinq ans, qu’entre les deux moments où les listes sont enregistrées, des serfs mâles que la loi appellent « âmes » meurent, il suffit à celui qui ne possède pas de terres de racheter, à vil prix, si ce n'est pour rien, ces « âmes », et de les déclarer « vivants » sur une terre lointaine ou imaginaire pour se dire « propriétaire ». Drôles de vivants que ces « âmes mortes » ! Mais on peut alors demander une hypothèque sur ce domaine et toucher une certaine somme de l’État.
Prévarication ? Le vilain mot ! Disons que Tchitchikov se débrouille.
Cauteleux avec les puissants, il sait se faire ouvrir toutes les portes, et à coups de flatteries parvient à duper son monde. Défile alors une troupe insensée de propriétaires : l’imbécile prétentieux, la vieille méfiante, le joueur, l’avare, l’ours, et la filouterie manque de peu le succès.
Il paraît que Pouchkine, qui avait soufflé le sujet à Gogol, s’était inspiré d’un fait divers.
Belle mentalité que ces Russes décadents !
Et belle occasion de rire, car la ronde infernale de Tchitchikov avec ses deux protagonistes transformistes ne manque ni de rythme, ni de saveur.
Photo : © Victor Tonelli / artcomart
Les Âmes mortes d’après Gogol
Traduction d’André Markowicz,
mise en scène d’Anton Kouznetsov
jusqu’au 23 février
Théâtre 71 à Malakoff
mardi, vendredi à 20 h 30
mercredi, jeudi, samedi à 19 h 30
01 55 48 91 00
18:06 Écrit par Dadumas dans culture, humour, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : théâtre, théâtre 71, littérature, gogol, kouznetsov | Facebook | | Imprimer
Commentaires
Merci pour l'article vraiment c'est intéressant
Écrit par : generico | 21/02/2013
Je suis d'accord que la mentalité russe est belle et délicieuse!
Écrit par : kaufen | 29/10/2013
Vous avez un point de vue intéressant sur la littérature classique. Je suis heureux de lire votre article, je vous remercie!
Écrit par : sildenafil | 15/09/2014
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