31/03/2015
Tous coupables ?
L’univers de Dea Loher est sombre. On y crève de solitude et de désespoir. Dans la petite ville portuaire où se situe l’action d’Innocence, on trouve peu de travail, on s’entasse à trois dans une seule pièce, on se suicide beaucoup, on erre sur les quais.
Ils se voudraient tous innocents, mais ils se sentent tous vaguement coupables. Frau Haberssatt (Claude Mathieu) quête des pardons de maison en hôpital. Frau Zucker (Danièle Lebrun), malade, s’incruste chez sa fille Rosa (Pauline Méreuze) dont le mari Franz (Sébastien Poudéroux) a renoncé à toute ambition pour un emploi de croque-mort. Les parents d’une jeune fille assassinée (Catherine Sauval et Gilles David) se terrent chez eux derrière un rempart de livres. Ella (Cécile Brune), philosophe vieillissante déconstruit les théories qu’elle a échafaudées sur la « non-fiabilité du monde. »
Ce monde-là est sans illusions, mais, paradoxalement, ce sont une jeune femme aveugle, Absolue (Georgia Scalliet), et deux immigrés sans papiers, Fadoul (Bakary Sangaré) et Elisio (Nâzim Boudjenah) qui semblent aptes à lutter, donc à vivre, malgré « la réalité inhospitalière ». Et Dieu dans tout ça ? Fadoul y croit…
Denis Marleau, qui met en scène et signe la scénographie, emprisonne les personnages entre trois murs sur lesquels il projette des animations, silhouettes tragiques et dansantes, arabesques, feux follets (Dessins et animation: Félix Dufour Laperrière, vidéo : Pierre Laniel). Les costumes de Jean Paul Gaultier tachent de rouge les murs gris, et la noirceur de la mort omniprésente. Pas d'issue. Cette société est close, repliée sur elle-même, incapable de compassion, impuissante à envisager un avenir heureux.
Les comédiens seront tous présents, parfois saisis dans un isolement immobile, tandis que les candidats au suicide s’encouragent à sauter depuis l’avant-scène (Louis Arène et Pierre Hancisse), parfois rassemblés autour d’un événement dramatique. Ils commentent, ils vitupèrent et certains se parlent. Humour noir, répliques cinglantes… Ils maîtrisent avec bonheur un texte dense, grave, et les déplacements de chœur antique.
Ils piègent ainsi le spectateur, lui tendent un miroir impitoyable.
Souhaitons qu’il comprenne la terrible leçon !
Photo : © Christophe Raynaud de Lage
Innocence de Dea Loher, traduction de Laurent Muhleisen
Du 28 mars au 1er juillet en alternance
Comédie-Française
Salle Richelieu
www.comedie-francaise.fr
23:49 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, humour, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, comédie-françaisse, dea loher | Facebook | | Imprimer
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