30/10/2015
L’Histoire bégaie
Imaginez que le chef du gouvernement de l’Allemagne invite six millions de personnes à s’installer sur son territoire.
Comment ? Ce n’est pas une fiction ?
Mais si pourtant, c’est la fable qu’Israël Horovitz a inventée en 1996. À l’époque, il créa un chancelier Stroiber, qui, pour « effacer la honte » d’avoir anéanti six millions de juifs » pendant la guerre, invitait six millions de juifs du monde entier, à devenir allemands. L’inverse d’une diaspora, en quelque sorte, une « résilience », très positive, dirait Boris Cyrulnik.
Le concept géopolitique du lebensraum (de Raum = espace, et Leben = vie) créé par Friedrich Ratzel n’est pas nouveau. Il était destiné à favoriser la croissance d’un peuple mais le nazisme l’avait dévoyé. La pièce s’appelle Lebensraum (Espace vital). Elle bouleversa de nombreux spectateurs et anima bien des débats. Aujourd’hui qu’une chancelière invite, pour des raisons économiques, les migrants du monde à venir s’installer en Allemagne, on pourrait penser que les tensions racistes n’existent plus, que les peuples ont tiré des leçons de l’histoire, et que les puissants veillent au le bonheur de l’humanité. Il n’en est rien. L’Histoire bégaie. Et le « jamais plus ! » reste un vain mot.
La compagnie Hercub pour qui la pièce avait été écrite et qui l’avait créée à Avignon reprend Espace Vital. Sylvie Rolland, Michel Burstin et Bruno Rochette ont répondu à l’urgence de l’actualité. Ils ont revu leur adaptation, remanié le langage (en particulier celui des jeunes). Ils ont ajouté quelques allusions aux événements qui nous crucifient. Ils ont modifié le décor, (Pierre-Yves Boutrand et Nieves Salzmann). Mais ils ont gardé intacte la dénonciation de cette incapacité des hommes à vivre en frères. Ils évoluent comme en 1997 avec un talent inouï, jouant eux-mêmes une cinquantaine de personnages (costumes Élise Guillou), dans une trentaine de lieux (changements à vue), avec des langues et des accents différents. C’est toujours un miracle de fluidité, de justesse, d’intelligence. Les lumières de Stéphane Graillot y contribuent.
Chaque comédien passe du rôle de conteur à celui de personnage. Ils peuvent, à tour de rôles changer de nationalités, d’âges, de personnalités, mais jeune goy ou vieux juif, ouvrier ou chancelier, professeur ou ménagère, chacun est un individu bien défini, avec ses caractéristiques et son histoire. Ils sont drôles ou poignants. Toujours vrais.
Il faut aller les voir, les entendre, afin de redire encore, qu’ayant tous « le sang rouge et les larmes amères », nous ne sommes qu’une seule race : l’humanité.
Photos : © Philippe Cordier
Espace vital (Lebensraum) d’Israël Horovitz Adaptation, mise en scène de Sylvie Rolland, Michel Burstin, Bruno Rochette.
Théâtre du Lucernaire jusqu’au 27 novembre
Du mardi au samedi à 19 h
Dimanche à 15 h
Version 1997 éditée à L’Avant-Scène Théâtre (N°1031/1032)
12:26 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, horovitz, hercub', histoire, théâtre du lucernaire | Facebook | | Imprimer
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