17/06/2006
Les Chiche-Capon de Saint-Germain
Qui se souvient des premiers « Chiche-Capon » ?
Sorgue, c’était Jean Claudio, Beaume, était joué par Serge Grave et Macroy, par Marcel Mouloudji qui perdit vite son prénom. Film de Christian-Jaque, dialogues de Prévert, Les Disparus de Saint-Agil, avait reçu le prix Jean Vigo et tous les lycéens s’imaginaient qu’ils pourraient, comme eux, aider les justes à démasquer les méchants.
Les Chiche-Capon qui présentaient Le Cabaret des Chiche-Capon à la foire Saint-Germain, et que vous pouvez retrouver jusqu’au 29 juillet au Café de la Gare, ont moins de mystère, mais autant d'humour et de poésie. Ils ont gardé une âme de collégien et mettent en joie les grands et les petits.
Ils sont trois, Frédéric Blin qui devient Firmin, Mathieu Pillard est Flèche, et Patrick de Valette, Philippe. Ils sont accompagnés d’un guitariste-bruiteur-chanteur, Richard Lo Giudice, à la patience inépuisable. Chacun s’est composé un personnage qu’il affine de spectacle en spectacle, depuis Le Saut de la mort.
Flèche, c’est le grand ado monté en graine, hésitant, qui s’attendrit facilement, encore naïf, mais qui s’enhardit et enfin, ose braver le chef, Firmin, tyranneau manipulateur qui les engage à s’exprimer, mais leur coupe la parole rageusement dès qu’ils la prennent. Firmin pique des colères, Firmin est injuste, méchant, vindicatif, une sorte de Louis de Funès dans son numéro de malveillance.
Et il y a Philippe, éberlué et mutique, le plus petit des trois, tout en muscles, cheveux blonds en longues mèches raides, visage fendu par le sourire: un candide égaré chez les brutes. Sans cesse en mouvement, agité, il s’opiniâtre à vouloir « faire la loutre », et les deux autres tentent de le détourner de son obsession.
En clowns accomplis, ils jouent d’un instrument : flûte traversière, guitare, triangle, mais ratent leurs numéros de jonglage ou d’hypnotisme, et d’incidents en imprévus, provoquent le rire. Firmin glose sur la Beauté, intérieure et extérieure, développe des théories, qu’il veut appliquer à la politique, donc à la Marianne républicaine qui veille au salut de la salle des fêtes, et rencontre, cet hurluberlu effronté de Philippe qui le nargue… Flèche rêve d’être rock star, mais sa voix est aigrelette. Et pourtant, il chantera ! « La Beauté, n’est-ce pas, c’est d’y croire. » Philippe nagera finalement dans la foule, porté à bout de bras par les spectateurs ravis de cette confiance.
Car avec les Chiche-Capon, c’est le public qui replonge dans l’innocence…
Café de la Gare
à 21 h 30
01 42 78 52 51
16:13 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer
11/06/2006
La Fontaine à Versailles
Louis XIV n’en reviendrait pas. Le rancunier monarque lanternait à pourvoir La Fontaine d’une pension, alléguant que ce dernier avait été le protégé du surintendant Fouquet et qu’il lui restait fidèle. La Fontaine n’étant pas homme à "changer d’écharpes ", la disgrâce de l’un entraîna la misère de l’autre… Le cœur manque quelquefois chez les Grands et la mauvaise raison les égare. Mais voilà notre fabuliste vengé. Aujourd’hui, dans le potager dudit Roi, les Fables s’épanouissent en toute liberté dans les allées. Et le Roi devra s’en accommoder !
Chaque samedi, chaque dimanche pendant tout le mois de juin et même jusqu’au dimanche 2 juillet, les fêtes du mois Molière "initié et orchestré par François de Mazières" ramènent Phénomène et compagnie, sous la serfouette de Stéphanie Tesson, qui, avec ses comédiens, donne vie à toutes les créatures du Potager.
Nous avions eu des Fantaisies potagères, bucoliques, microcosmiques, toutes contemporaines, cette année, retour au patrimoine. Bien sûr me direz-vous, les Fables, vous connaissez… Voire ! Certaines ne manqueront pas de vous surprendre. Chaque semaine, Stéphanie Tesson sort de sa besace plus de quarante textes en deux parcours. Elle sait son affaire. « Vous connaissez son bien, son talent, sa naissance », aurait dit La Fontaine. Corinne Page s’est surpassée dans les costumes qui chatoient sous la lumière naturelle. Satins changeants, velours fripés, soies gaufrées, taffetas glacés, gazes irisées, cotons calandrés, les étoffes font les bestions domestiques et sauvages, les dieux, les hommes et les femmes. Marguerite Danguy des Déserts a inventé des accessoires prodigieusement poétiques, brossé les peintures. Elle joue aussi la chambrière qui accueille le public et le bonimente, avec Natalia Ermilova, et Veronika Boulytcheva à l’accordéon. Dorota Okulicz peint les visages.
Samedi 10 juin, nous avons retrouvé l'enchantement avec des personnages joués par Lara Suyeux, Séverine Cojanot, Frédéric Almaviva, Daphné Tesson, Brock, Florence Cabaret, Laetitia Augustin-Viguier, Fabienne Fiette, Arianne Zantain, Sybille d’Orgeval, Anne Bourgeois, Benjamin Broux, Charlotte Rondelez, Philippe Sivy, Caroline Filipek, Laurent Maurel (ces deux-là, vous les retrouverez aussi à la Foire Saint-Germain, le 26 juin, pour une autre production). Sous un apparent badinage, de quoi nous parlaient-ils ? De choses qu’hélas ! notre siècle partage encore avec le XVIIe : de la vanité des hommes, de leur poltronnerie, de leur inconstance, de leurs défauts, des boiteries de la Justice, des prétentions des Puissants, de la Mort et de l’Amour aussi, et nous sommes mortels, comme nos amours. Chacun sait qu’en fait de fable, le conteur ne donne que « la vérité ».
Pour nous réconforter, Manuel Pluvinage, responsable du Potager, offre en fin de promenade les produits de sa terre : fraises, fèves, tomates, jus de rhubarbe, confitures, bonne chère, en quelque sorte !
Alors, si, d’aventure, vous passez par Versailles, ce dimanche, ou les fins de semaines prochaines, faites-vous indiquer le Potager du Roi, allez y juger comme Nature et Culture vivent en harmonie, réconciliés. Vous en tirerez bien quelque profit, car « Il n’est rien d’inutile aux personnes de sens ».
Potager du Roi à Versailles
le samedi et le dimanche de 18 h à 19 h 30
départ tous les 1/4 d'heure
deux parcours de 45 mn
14:40 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer
07/06/2006
Le panache de Cyrano
La nouvelle mise en scène de Cyrano de Bergerac va plaire.
Elle est signée Denis Podalydès qui fait du premier acte un mémorial d’amour à ceux de la Comédie-Française qui l’ont précédé. Il substitue les noms de Jean Piat, Jacques Charron, Robert Hirsch, Paul-Emile Deiber, Gisèle Casadessus, Claude Winter, "notre" Seigner, et Denise Gence, aux noms des comédiens d'un XVIIe siècle vu par Rostand. Il fait rimer Boudet avec godet, et Casile avec asile. Anne Kessler l’a secondé dans la réalisation d’une vidéo qui projette les visages de ces sociétaires. C’est bouleversant de fantaisie et de tendresse, et quelle délicatesse de sentiments ! C’est si rare aujourd’hui ! Il n’oublie pas non plus les « Immortels », les académiciens : Fumaroli, Robbe-Grillet, Decaux… On les cherche dans la salle. Il dédie ce spectacle au regretté Paul Rens, mort récemment, et qui a tant œuvré pour que les abonnés se sentent bien accueillis dans cette maison. Un bel hommage ! Denis Podalydès, comme Cyrano, a "moralement" des "élégances".
Il a également un imaginaire subtil. Au troisième acte, la scène du balcon flottera entre rêve et réalité. Roxane que les mots d’amour grisent devient aérienne, accrochée à ses rêves, portée par ses désirs, elle plane, littéralement. Ange vêtue de blanc, au-dessus du plateau, elle tend ses bras et ses lèvres à Christian, scène irréelle, en contre-jour, quand le « festin d’amour » poignarde Cyrano, cloué à la réalité terrestre…
Michel Vuillermoz est un Cyrano tel que Rostand l’eût aimé : bouillant, mais doux avec les dames et les faibles, redresseur de torts, rebelle, anticlérical et il exhibe hardiment un nez de belle envergure. Éric Ruf joue un Christian romantique, amoureux de la belle étoile Roxane dont Françoise Gillard porte joliment la brillance et l’aveuglement.
Trio gagnant à tous les coups et fort bien entouré par Éric Génovèse qui donne toute sa générosité à Le Bret, par Andrzej Seweryn qui rend sympathique de Guiche, ce noble de cour vaniteux et rancunier. Ragueneau trouve en Grégory Gadebois le joyeux compagnon, affable pâtissier ruiné par son amour de la poésie.
Pour tous les cadets de Gascogne, l’armée de marmitons, le cercle de Précieuses, le clan des poètes, le défilé des nonnes, les comédiens de la troupe se multiplient et changent d’uniformes avec une loyauté exemplaire. Pas une faille ! Pas une décoration ne manque, pas un lacet ne traîne. Il faut dire qu’avec des habits signés Christian Lacroix, qui choisit de mêler XVIIe et début du XXe, on ne pouvait mieux faire le moine… ou le soldat.
Éric Ruf signe aussi le décor. Il donne une superbe vision poétique de chacun des tableaux. On se souviendra longtemps du capharnaüm des coulisses, de la maison de Roxane cernée d'arbres champêtres, de ses coquelicots autour de la redoute, des nuages qui pèsent lourd sur le champ de bataille, et du fauteuil vénéré au centre d’un couvent plus deviné que construit.
De l’histoire qu’elle raconte, nous ne parlerons pas, vous la connaissez tous, l’histoire de ce disciple de Gassendi, poète et philosophe, qui pensait que les femmes ne pouvaient l’aimer parce qu’il était laid… Comme si les femmes s’arrêtaient à ce détail ! Il est tant de moyens de leur plaire, et, quand on les fait rire, qu’on leur écrit des vers, elles vous regardent mieux, et leurs yeux s’ouvrent sur ce que Philaminte appelait « la beauté que les ans ne peuvent moissonner » : l’intelligence. À croire que Roxane n’était pas aussi fine que Cyrano et Christian l’imaginent…
Qu'importe ! Dans notre époque qui manque singulièrement de panache, celui de Cyrano illumine...
Cyrano de Bergerac
d'Edmond Rostand
Comédie-Française
en alternance
du 27 mai au 23 juillet
15:20 Écrit par Dadumas | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer