04/09/2010
Un comique-tueur
Gérald Sibleyras avait déjà raillé les institutions européennes dans Bouchon. Dans sa nouvelle comédie, Stand up, son héros, Laurent (Grégoire Bonnet) a définitivement perdu sa vis comica en récitant par cœur les directives de ladite union. Plaqué par sa femme, il traîne une amère mélancolie qui le conduit chez une prostituée occasionnelle, Vickie (Anne-Sophie Germanaz) fan de Serge Lama. Elle prétend se vendre pour payer ses chères études. Mais son frère, Cyril (Philippe Uchan), tueur professionnel intervient. Il veut se reconvertir dans le stand-up* et faire mourir de rire les spectateurs plutôt que d’assassiner sur contrat. Il y avait des comiques-troupiers, lui, sera un comique-tueur.
Il a peu de talent, mais comme le « comique-tueur » a la gâchette facile, ses interlocuteurs lui en trouvent. Et Maurice (Gilles Gaston Freyfus), le directeur du festival du rire de Morlaix capitule devant toutes ses exigences. La musique narquoise d’Alexandre Lessertisseur, souligne la débandade. Gérald Sibleyras tire à bout portant des répliques méchantes contre l’Europe, le showbiz, le théâtre « exigeant » (José Artur dit « intellichiant »), les comiques, les écolos, les animateurs culturels…
Le sicaire, tête brûlée, ressemble à toutes les petites frappes qui s’imposent par la force. Leur revolver tient lieu de pensée et de sentiment. Face à lui, Laurent est désinvolte, Maurice angoissé, Vickie rageuse, et cette galerie de pleutres n’est guère réjouissante, même si elle est conforme à une société dans laquelle « quand on est armé, on a tous les droits. »
Pourtant une question me taraude : que fait la police ?
photo Serge Kadoche
* « stand-up », forme de spectacle comique en solitaire où le comédien prend les spectateurs à témoins de son histoire. Il y a quelques années, on disait « one-man-show ».
Stand up de Gérald Sibleyras
Mise en scène de Jean-Luc Moreau
Théâtre Tristan Bernard
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17:19 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, sibleyras, moreau | Facebook | | Imprimer
31/07/2010
Une page pour Philippe Avron
Pour Philippe Avron, qui est parti retrouver son maître Jean Vilar, et ses compagnons philosophes, cette page de Montaigne :
"Vainement vous voulez savoir l'heure incertaine de votre fin, mortels, et son chemin futur.
Nous troublons la vie par le souci de la mort, et la mort par le souci de la vie. L'une nous ennuie, l'autre nous effraye. ce n'est pas contre la mort que nous nous préparons : c'est chose momentanée. Un quart d'heure de passion sans conséquences, sans nuisances ne mérite pas des préceptes particuliers. A dire vrai, nous nous préparons contre les préparations de la mort. La philosophie nous ordonne d'avoir la mort toujours devant les yeux, de la prévoir et considérer avant le temps, et nous donne après les règles et les précautions pour prouvoir à ce que cette prévoyance et cette pensée ne nous blesse..
Si nous n'avons su vivre, c'est injustice de nous apprendre à mourir...
Si nous avons su vivre contamment et tranquillement, nous saurons mourir de même.
Toute la vie des philosophes est une méditation de la mort.
Mais il m'est avis que c'est bien le bout, non le but de la vie, c'est sa fin, son extrêmité, non son objet.
Au nombres des offices que comprend celui de savoir vivre, est aussi celui de savoir mourir.
Ceux qui craignent la mort présupposent la connaître. Quant à moi, je ne sais ni ce qu'elle est, ni ce quel fait en l'autre monde.
Si c'est une transmigration d'une place à l'autre, il est à croire, qu'il y a de l'amendement d'aller vivre avec tant de grands personnages trépassés, et d'être exempts de n'avoir plus à faire à des juges iniques et corrompus. Si c'est anéantissement de notre être, c'est encore amendement d'entrer en une longue et paisible nuit. Nous ne sentons rien de plus doux en la vie qu'un repos et sommeil tranquille et profond, sans songes.
La défaillance d'une vie est le passage à mille autres vies, ainsi l'univers est renouvelé."
Montaigne
Nous t'aimions, Philippe et tu nous as beaucoups aimés.
Après ton dernier spectacle, ton dernier Avignon, il y a peu de jours, tu nous as salués pour la dernière fois...
Philippe, notre Filipetto, tu feras désormais partie de ces ombres qui peuplaient la Cour d'honneur et que tu évoquais souvent... Et nous pensons à toi...
19:44 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, philosophie, amitié, montaigne, avron | Facebook | | Imprimer
07/07/2010
La mort est venue
Laurent Terzieff aimait les poètes et il se plaisait à réciter celui de Pavese qui commence ainsi :« la mort viendra et elle aura ton visage ». La mort est venue. Et nos visages ont eu les yeux pleins de larmes. Et ces mots et sa voix nous ont accueilli dans l’église Saint-Germain-des-Prés » pour un dernier salut avant qu’il ne rejoigne sa « demeure d’éternité ».
Laurent Terzieff vivait comme un ascète profondément mystique, détaché des biens de ce monde, et brûlant pour le théâtre d’une foi inextinguible. Loin du tumulte, du snobisme, du clinquant, il avait su tenir cette haute rigueur morale dont notre siècle oublie jusqu’à la moindre trace. Avec Pascale de Boysson, sa compagne, il avait révélé des auteurs dramatiques étrangers : Saunders, Schisgal, Albee, Mrozeck, soutenu de jeunes auteurs français comme Jean-Louis Bauer.
Nous étions nombreux à l’aimer et s’il était exigeant pour lui, il demeurait infiniment indulgent pour les autres. Ainsi en est-il des saints.
14:38 Écrit par Dadumas dans Littérature, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, poésie, littérature, terzieff | Facebook | | Imprimer