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31/01/2014

Fille d'alliance et frère de coeur

 

 

L’amitié entre Montaigne et La Boétie, a été source de longues dissertations, et sans doute fera-t-elle encore polémique aujourd’hui.

Théâtre, Petit-Montparnasse, Montaigne, Emmanuel DechartreJean-Claude Idée imagine, à partir des Essais, la rencontre en 1588, de Montaigne et de Marie de Gournay celle qui sera sa « fille d’alliance », son dernier amour, et sa fidèle éditrice. Et La Boétie ? Il est mort depuis vingt-cinq ans. Mais nous savons bien que l’ami mort, le « frère » de coeur, l’absent tant aimé hante Montaigne et que ce dernier écrit pour continuer de dialoguer avec son autre moi. La voix de La Boétie s’inscrit dans celle de Montaigne qui dégèle la parole du mort dont il se nourrit pour poursuivre l'amitié. 

« Privé de l’ami le plus doux, le plus cher et le plus intime, et tel que notre siècle n’en a vu de meilleur, de plus docte, de plus agréable et de plus parfait »* , Montaigne écrit Les Essais. La première édition paraît en 1580. Il va l’enrichir « d’allongeailles » qu’il confiera à Marie de Gournay.

Marie fut-elle aussi impétueuse que Jean-Claude Idée la conçoit ? Sans aucun doute, puisque Montaigne parle de « la véhémence fameuse dont elle (l)’aima »**. Théâtre, Petit-Montparnasse, Montaigne, Emmanuel DechartreKatia Miran donne à Marie une beauté que les portraits d’icelle infirment. La comédienne rayonne d’intelligence, d’alacrité, et donne au spectateur envie d’en savoir plus sur cette femme qui fut la première à revendiquer le titre de « femme de lettres » en un siècle où son sexe était « interdit de tous les biens »* et privé de liberté.

Cependant, il semble que Montaigne (Emmanuel Dechartre) ne fut pas aussi grincheux qu’il est montré sur scène puisque, dès le lendemain du jour où il reçut sa lettre, il courut rencontrer celle qui lui exprimait « l’estime qu’elle faisait de sa personne et de ses livres ». Emmanuel Dechartre montre d’abord un Montaigne dépassé par cet amour, plus ennuyé qu’ébloui par la jeune personne et qui peu à peu cède. « Aymée de moi, beaucoup plus que paternellement », écrit-il encore, celle qui fut « une des meilleurs parties de (son) être »**, l’accusa-t-elle d’avoir « trahi La Boétie » ? Nous en doutons. La « fille » ne remplacera jamais « le frère » absent. Montaigne, en ces temps de guerre civile  pouvait-il sans danger publier in extenso les œuvres de son ami La Boétie ? Ne lui rend-il pas justice dès le livre I (chapitre XXVIII) ?

Mais peut-être cette accusation était-elle nécessaire à la dramaturgie. Adrien Melin qui joue ce La Boétie, mort jeune, s’oppose avec fougue à l’homme de cinquante-cinq ans et donne à ce conflit une force d'autant plus plaisante qu'il n'est visible que pour Montaigne. Le décor de Bastien Forestier, les costumes de Sonia Bosc inscrivent sans afféterie, l’histoire dans la fin du seizième siècle.

Le jeu, bien sûr, va consister pour les spectateurs « montaignophiles », à reconnaître tel passage de Montaigne, attribué à l’une ou à l’autre. Ceux qui gagnent seront ceux qui pourront préciser dans quel livre, dans quel chapitre.

Il n’y aura pas de perdant, car en lisant Montaigne on apprend à réfléchir, ce qui manque cruellement à notre époque…

 

*    Michel de Montaigne,Lettre de Montaigne à son père

* *  Michel de MontaigneLes Essais, livre II, chapitre XVII.

***  Marie de Gournay, « J’étais sa fille, je suis son sépulcre ; j’étais son second être, je suis ses cendres. Lui perdu, rien ne m’est resté, ni de moi-même, ni de la vie, sauf justement ce que la fortune a jugé qu’il en fallait réserver pour y attacher le sentiment de mon mal. » (Lettre)

 

Photos © Lot

 

 

Parce que c’était lui  ou Montaigne et La Boétie d’après Les Essais de Montaigne

par Jean-Claude Idée

Petit-Montparnasse à 21 h

01 43 22 77 74

depuis le 21 janvier

 

31/07/2010

Une page pour Philippe Avron

Pour Philippe Avron, qui est parti retrouver son maître Jean Vilar, et ses compagnons philosophes, cette page de Montaigne :

"Vainement vous voulez savoir l'heure incertaine de votre fin, mortels, et son chemin futur.

Nous troublons la vie par le souci de la mort, et la mort par le souci de la vie. L'une nous ennuie, l'autre nous effraye. ce n'est pas contre la mort que nous nous préparons : c'est chose momentanée. Un quart d'heure de passion sans conséquences, sans nuisances ne mérite pas des préceptes particuliers. A dire vrai, nous nous préparons contre les préparations de la mort. La philosophie nous ordonne d'avoir la mort toujours devant les yeux, de la prévoir et considérer avant le temps, et nous donne après les règles et les précautions pour prouvoir à ce que cette prévoyance et cette pensée ne nous blesse..

Si nous n'avons su vivre, c'est injustice de nous apprendre à mourir...

Si nous avons su vivre contamment et tranquillement, nous saurons mourir de même.

Toute la vie des philosophes est une méditation de la mort.

Mais il m'est avis que c'est bien le bout, non le but de la vie, c'est sa fin, son extrêmité, non son objet.

Au nombres des offices que comprend celui de savoir vivre, est aussi celui de savoir mourir.

Ceux qui craignent la mort présupposent la connaître. Quant à moi, je ne sais ni ce qu'elle est, ni ce quel fait en l'autre monde.

Si c'est une transmigration d'une place à l'autre, il est à croire, qu'il y a de l'amendement d'aller vivre avec tant de grands personnages trépassés, et d'être exempts de n'avoir plus à faire à des juges iniques et corrompus. Si c'est anéantissement de notre être, c'est encore amendement d'entrer en une longue et paisible nuit. Nous ne sentons rien de plus doux en la vie qu'un repos et sommeil tranquille et profond, sans songes.

La défaillance d'une vie est le passage à mille autres vies, ainsi l'univers est renouvelé."

Montaigne

 

 

Nous t'aimions, Philippe et tu nous as beaucoups aimés.

Après ton dernier spectacle, ton dernier Avignon, il y a peu de jours, tu nous as salués pour la dernière fois...

Philippe, notre Filipetto, tu feras désormais partie de ces ombres qui peuplaient la Cour d'honneur et que tu évoquais souvent...  Et nous pensons à toi...