17/10/2008
Comment peut-on être togolais ?
Quand le narrateur débarque à Alep pour entreprendre des recherches linguistiques chacun s’étonne de son intérêt pour une langue en voie de disparition. Comment un Togolais raisonnable peut-il travailler dans un but non lucratif, « sans goût sucré de la fortune » ? Et surtout, comment peut-on être Togolais ?
Dès l’aéroport, les douaniers l’interrogent, le suspectent, ce qui nous vaut dans ce « trifouillage d’identité », une peinture des mœurs digne des Lettres persanes. La société patriarcale d’Afrique, doublée de celle du Moyen-Orient, ne va pas simplifier les rapports.
Entre l’oncle (François Clavier) qui n’a qu’un seul souci : marier rapidement sa fille qui « lui pourrit la vie », la cousine (Valérie de Dietrich) humiliée de devoir jouer « Fanny » (sans Pagnol), des Syriens « affamés », des marchands du temple et des affairistes de toutes races (Christophe Vandevelde), le gentil émigré (Guillaume Gilliet) est vite un jouet entre toutes ces mains.
Balazs Gera met en scène ce conte initiatique avec une grande habileté. La scénographie de Giulio Lichtner modifie continuellement l’espace à l’aide de cloisons mobiles noires que les protagonistes déplacent eux-mêmes. Les lieux changent, les personnages passent, les pistes succèdent aux ruelles, le voyage incessant déroule ses aventures.
On rit franchement, puis le rire se teinte de gris, devient noir et, devant le tragique sort de la femme, naissent la tristesse et le malaise, « en barbelés dans la gorge ». Nous sentirions-nous un peu coupables ?
Gustave Akakpo est un auteur togolais. Il fait honneur à la langue française. Il enrichit le théâtre contemporain. Il a le sens de la comédie, la justesse des métaphores, des formules frappantes. Il peint les mœurs des sociétés patriarcales, leur hypocrisie, leur injustice. Il le fait avec humour et tendresse. C’est un grand auteur. Et les classes de 3e, de 2e et de 1e qui sortaient d’une représentation de À petites pierres évoquaient Molière. Forcément, leurs professeurs les avaient aussi emmenés voir Tartuffe.
Si, si, ça existe encore ! Tout ne se passe pas forcément comme dans Entre les murs. Certains lycées sortent pour se cultiver intelligemment. Ils avaient lu À petites pierres, et même quelques-uns avaient joué la pièce. Ils savaient que l’auteur avait prévu deux dénouements, l’un comique, l’autre tragique.
Thomas Matalou, le metteur en scène a choisi la fin positive. La jeune fille qui a « fauté » ne sera pas lapidée. Mais quelle leçon pour tous ! Pour les machos qui ne pensent qu’à leur « margouillat », les pères vantards (Christophe Garcia et Franck Micque), les fils lâches, les femmes naïves.
Heureusement, les femmes sont solidaires et les jeunes un peu moins bornés que le « conseil des sages ». Ce ne sera plus la tradition imbécile qui fera loi, car « voici que nos enfants se lèvent pour défier nos âges ».
La scénographie de Thibaut Fack, dessine l’espace scénique comme une arène.
Dans ce cercle de craie africain, la jeune fille (Carolen Stella), se tient debout, face au public, à ses accusateurs, tout de blanc vêtue. Le jeune homme (Paul Tilmont) qui convoite sa fleur, entre dans le cercle coupé à mi-hauteur par le fil sur lequel sèche la lessive du jour. La corde se rompra à la défloration. Au sommet du cercle, deux panneaux translucides indiquent la maison, les murs s’écrouleront au moment du jugement. Au-delà du cercle, de chaque côté, deux bancs, où chacun des protagonistes va s’asseoir quand il ne joue pas. Seule la sœur protectrice (Mariana Lézin) s’assied à part, sur un escabeau d’où « elle veille sur sa sœur. Et quand enfin le Père (Christophe Garcia) abandonne toute poursuite, que le fiancé (Ludovic Carmaus) pardonne, que le jeune homme trouve sa promise, alors, le fond du théâtre s’ouvre sur le parc, ses allées et ses arbres où danse un soleil automnal.
C’est comme à Bussang, au Théâtre du Peuple. Car ici, voyez-vous, à la Villette, le peuple aussi vient au théâtre et la salle s'ouvre au monde…
S’il y a un auteur contemporain à découvrir en ce moment à Paris, c’est Gustave Akakpo. Et si vous n’avez pas le temps (ni les moyens) de vous rendre à La Villette, commandez ses pièces chez votre libraire. Elles sont éditées chez Lansman.
Habbat Alep
À petites pierres
Deux pièces de Gustave Akakpo
Photos : Eric Legrand
Au Tarmac de La Villette
Jusqu’au 1er novembre
01 40 03 93 95
attention aux horaires (14h 30, 20 h ou 22 h le vendredi,ou 16 h le samedi)
15:46 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : théâtre, tarmac, akakpoc | Facebook | | Imprimer