21/01/2011
Accordez vos violons
Tandis que les instruments s’accordent dans cette assourdissante rumeur qui prélude aux plus belles œuvres, le chef d’orchestre (Victor Haïm) entre pour une dernière répétition. Le chef ne mâche pas ses mots. Il est en « fureur ». Ce ne doit pas être nouveau, puisque ses musiciens l’ont surnommé « führer » au lieu de « maître ».
On apprend rapidement qu’ils ont pétitionné pour « se débarrasser » de lui. Et le torrent des reproches et des souvenirs cascade sur le « troupeau de radis creux », de « perroquets déprimés », « pythons papelards », « scrofuleux névrotiques », et autres mignardises dont il gratifie tous les instrumentistes.
Il a du vocabulaire le chef ! Et il obéit toujours aux préceptes de sa maman qui lui a dit un jour : « même quand tu insultes, reste poli ! ». Ce qu’il fait. Leçon de morale sur la délation, leçon de grammaire à propos des lettres idoines, leçon de musique aussi. Entre les mesures de La Pastorale de Beethoven qu’il décortique, le chef divague… Les grands musiciens, le « peuple élu » (« mais n’a-t-on pas truqué les élections ? »), la misogynie des uns, la médiocrité des autres, ses fantasmes, et l’inculture des commanditaires qui confondent Traviata et Travolta, Butterfly et Bitterfly, Pelléas et Mélisande avec Ménélas et Palissandre, tous ses griefs surgissent, et il déverse sa hargne jusqu’au paroxysme.
Le comédien est l’auteur de cette philippique. Mélomane par goût, il rage contre ces snobs qui admirent la musique à « la façon des gens du monde », avec « ce goût frivole qui est une des formes du mépris »*. Il règle ici des comptes, sans désigner personne. Xavier Jaillard l’a mis en scène avec simplicité : un pupitre, une baguette, et une sono bien travaillée. Efficient !
Le chef agresse et digresse. Il atteint la démence. Mais ne craignez rien, seul le rire est contagieux. Et les spectateurs déraisonnent avec lui, trop heureux de retrouver la force de cette prose caustique et lucide. Allez vite « accorder (vos) violons » avec lui !
* Saint-Saëns.
Fureur de et avec Victor Haïm
Petit-Hébertot
du mercredi au samedi, 19 h
dimanche à 15 h
01 42 93 13 04
depuis le 12 janvier
15:15 Écrit par Dadumas dans humour, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : haïm, théâtre, petit-hébertot | Facebook | | Imprimer
11/09/2010
Jeux de vilaines
Hortense (Valérie Zarrouk) est une bête de scène. Peut-être devrait-on dire « était ». Elle a un peu perdu son talent en interprétant des personnages récurrents à la télé. Gertrud (Katherine Mary) est une auteure « mondialement reconnue », dont l’œuvre est traduite en trente langues. Hortense joue « à l’instinct », Gertrud ratiocine. Hortense aime les hommes, et Gertrud vient de rompre avec Clotilde. La pièce qu’elle propose à Hortense n’a ni personnage, ni situation. Oui, vraiment, tout les sépare.
Et pourtant… Elles répétent. Enfin, Gertrud commence à examiner la possibilité de faire son comeback avec un genre qui n’a jamais été le sien, mais dont elle pourrait tirer profit. D’autant que sa nouvelle liaison (avec un ministre de l’Intérieur omnipotent) lui promet la une des magazines.
Dans le bric-à-brac d’une scène pas installée, elles s’installent sous le regard d’un éclairagiste que nous ne verrons pas, mais que leur dialogue rend présent. Victor Haïm excelle dans les pièces duels où deux personnages s’affrontent. Jeux de scène est un combat à mots démouchetés, où, par le biais de ces deux femmes, deux visions du Théâtre s’opposent.
Jeux de scène avait obtenu le Molière 2002. Il nous tardait de la retrouver sur scène. Elle fonctionne admirablement. Il faut dire que l’auteur l’a mise en scène, et qu’il dirige ses comédiennes avec maestria. Il faut ajouter que les premières répliques, « C’est magique ! » et « quel beau théâtre ! » semblent tellement congruentes au Ranelagh que le public est acquis.
Les deux « monstres sacrés » ne vont pas tarder à s’envoyer de sacrées vacheries. En aparté d’abord, un projecteur les isolant pour une réflexion (lumière Florent Barnaud). Gertrud souligne le « côté bécasse », d’Hortense. Hortense pense tout haut : « elle me fait chier ». Peu à peu, elles se diront tout, sans masque, jusqu'au combat physique. Les jeux de scènes se muent en jeux de vilaines. Valérie Zarrouk le corps dressé comme un étendard, porte fier son « désir de théâtre ». Katherine Mary, ramassée sur une fausse retenue, finira par exploser de colère.
Bien entendu, toute ressemblance avec des personnes existantes ne serait qu’une affreuse coïncidence…
Jeux de scène de Victor Haïm
Théâtre du Ranelagh
01 42 88 64 44
17:05 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, ranelagh, haïm | Facebook | | Imprimer