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01/02/2013

Une force qui va

 

 

 

 

Comédie-Française, Hernani, Hugo, Littérature, théâtreIl peut paraître paradoxal de monter un drame romantique sur un plateau nu, en bi-frontal. Comment cacher le roi Don Carlos dans la chambre de Doña Sol au premier acte et le rebelle Hernani au troisième ? Devant quoi Don Ruy va-t-il faire l’éloge de ses ancêtres au même acte ? Comment Carlos va-t-il descendre dans le tombeau de Charlemagne au quatrième ? Et pas de terrasse, de jardin de nuit étoilée au dernier acte ? Notre esprit d’hugolienne redoutait cet Hernani.

Nous avions tort.

Nicolas Lormeau qui a créé le spectacle au « Printemps des comédiens » à Montpellier la saison dernière a fait confiance au texte de Hugo et à ses comédiens. Il a supprimé la figuration, les valets, leurs flambeaux, les pages, les marquis, les comtes, les courtisans, les montagnards, les foules tumultueuses, les hommes d’armes, les conspirateurs, les invités de la noce, les masques, et rangé au magasin des accessoires, les fauteuils, les bancs, les panoplies, les armures, les portes dérobées et  les portraits. Hernani, dans son dépouillement n’est plus qu’une « une force qui va », contre l’adversité. Les didascalies nécessaires à la compréhension du texte seront dites, en voix off par Thierry Hancisse.

Vous vous rappelez l’histoire ? Doña Sol (Jennifer Decker), jeune noble orpheline, doit épouser son oncle et tuteur, le Duc Don Ruy Gomez Da Silva (Bruno Raffaelli). Mais la belle reçoit dans sa chambre, le soir un «jeune amant sans barbe à la barbe du vieux. » Il s’agit d’Hernani (Félicien Juttner), fils du duc de Segorbe et de Cardona, condamné à mort par le précédent roi qui l’a dépouillé de ses titres et ses terres. Hernani rôde avec une bande de montagnards qualifiés de « bandits » par le roi Carlos (Jérôme Pouly) dont il cherche à se venger. Et ce roi, figurez-vous qu’il est aussi amoureux de Doña Sol, qu’il a soudoyé la duègne, Doña Josefa (Françoise Gillard) pour s’introduire, avant Hernani dans la chambre. Quand Don Ruy survient, impromptu, le roi prétend qu’il est là, incognito, afin de le consulter sur un sujet politique : sa candidature à l’empire d’Allemagne et que le seigneur qui l’accompagne est « quelqu’un de (sa) suite »… Il s’agit de poursuite en effet. Hernani poursuit en effet le roi de sa haine et Doña Sol de son amour, Le Roi poursuit la jeune fille de ses assiduités, et Don Ruy poursuit son projet de l’épouser.

À l’acte III, le Roi prend Don Ruy en traître et Doña Sol en otage. Comme Don Ruy a sauvé la vie d’Hernani, ce dernier jure de le venger et de mourir ensuite. Serment fatal ! Car Carlos devenant Charles Quint, commence son règne par « la clémence ». Il rend à Hernani ses titres, ses biens, et marie les amants. Mais le soir de la noce, Don Ruy lui rappelle qu’il doit mourir. Et le lit nuptial ne sera que couche funèbre.

Nicolas Lormeau imagine de transposer l’Espagne de convention du drame, du XVIe siècle au XIXe. Les costumes de Renato Bianchi nous parlent du temps où fut créée la pièce. Don Ruy Gomez de Silva semble une copie de Louis-Philippe, Don Carlos porte bourgeoisement la redingote, Doña Sol « avec sa robe blanche où notre amour s’attache* » paraît sortir d’une gravure de L’Illustration, et Hernani, veste et culotte de velours vert bouteille s’enveloppe d’un cape de laine couleur terre.

Et pourtant tout fonctionne, aucun flottement quand les comédiens entrent et sortent par la salle, disparaissent derrière les gradins des spectateurs installés sur ce qui est, d’habitude la scène. Les lumières de Pierre Peyronnet  cernent l’espace scénique avec art.

Bruno Raffaelli est poignant en père noble. Chaque spectateur a pour Jennifer Decker, les yeux d’Hernani. Chaque spectatrice offre son cœur à Félicien Juttner. Jérôme Pouly peu sympathique en roi jouisseur, gagne l’estime de tous en empereur généreux.

Cependant, si le sublime est atteint, on regrette que le grotesque soit gommé. Une duègne jeune et jolie est une aporie. Et pourquoi faire dire en prologue, dans le noir, un extrait de la Préface de Ruy Blas (1838) « Trois espèces de spectateurs composent ce qu'on est convenu d'appeler le public : premièrement, les femmes ; deuxièmement, les penseurs ; troisièmement, la foule proprement dite. » pour introduire le drame ? Il y a dans celle d’Hernani (1830)  suffisamment d’arguments pour ne pas décaler les principes d’Hugo dans le temps : « Le principe de la liberté littéraire, déjà compris par le monde qui lit et qui médite, n'a pas été moins complètement adopté par cette immense foule, avide des pures émotions de l'art, qui inonde chaque soir les théâtres de Paris. Cette voix haute et puissante du peuple, qui ressemble à celle de Dieu, veut désormais que la poésie ait la même devise que la politique: TOLERANCE ET LIBERTE.

Maintenant, vienne le poète! Il y a un public. »

Mais nous ne recommencerons pas la « bataille d’Hernani ». La pièce, parle d'amour, et par son énergie, sa poésie, prouve qu’elle est un chef-d’œuvre.

 

Photo : © Brigitte Enguérand


·       * Poème des Feuilles d’automne daté de 1830.

 

Hernani de Victor Hugo

Mise en scène de Nicolas Lormeau

Théâtre du Vieux-Colombier

Jusqu’au 18 février

01 44 39 87  00/01