02/09/2016
La dernière version
C’est la fin de l’année scolaire dans cette public school réputée à laquelle le professeur Crocker Harris (Jean-Pierre Bouvier) s’est consacré depuis dix-huit ans. Mais il doit demain y faire ses adieux. Ses problèmes cardiaques ne lui permettent pas de continuer à y enseigner. Par conscience professionnelle, il va donner à l’élève Taplow (Thomas Sagols) un cours de rattrapage de version grecque, chez lui.
Il est en retard et Taplow se retrouve face à un autre professeur, Frank Hunter (Benjamin Boyer), qu’il devrait avoir en première scientifique si ses résultats lui permettent d’accéder à cette classe. Taplow bavarde et médit. Taplow est insolent et Hunter indulgent. Millie Crocker Harris (Marie Bunel), interrompt cette complicité. Le spectateur en découvre d’autres. Car elle envoie Taplow faire une commission pour se retrouver seule avec Hunter, son amant.
Pas d’aimable badinage, mais des sous-entendus fielleux, des jugements malveillants, une haine sourde que l’épouse distille avec rancune contre son mari et les femmes de ses collègues. Et pourtant, dit-elle, « Il avait de vraies qualités, autrefois ».
Quand Crocker arrive, on le plaint d’avoir une telle épouse et de paraître aveugle. On s’agace de sa complaisance envers tous. Car cet homme dévoué a préparé l’emploi du temps de l’année suivante pour une école dont il ne fera plus partie, et dont le comité lui refuse une pension pour sa retraite anticipée. Déjà, le directeur (Philippe Etesse) le prie d’abréger son discours lors de la distribution des prix. Déjà, Mr. Gilbert (Nickola Krminac) qui va remplacer Crocker, et sa femme (Pauline Devinat), demandent à visiter l’appartement qu’il occupait.
Patrice Kerbrat qui signe l’adaptation et la mise en scène de La Version Browning, dirige ses comédiens avec rigueur. Jean-Pierre Bouvier est admirable de douleur contenue, de sentiments étouffés. Autour de lui, Benjamin Boyer cultive la duplicité, Marie Bunel une indifférence hostile et amère, Thomas Sagols l’ambiguïté de l’adolescence. Saura-t-on jamais si le jeune homme agit pour se concilier le maître ou parce qu’il reconnaît en lui science et sagesse ?
Terence Rattigan peint un monde où, à force de maîtriser ses émotions (« never explain, never complain » dit la Reine) Crocker a vu s’envoler les illusions qu’il avaient bercées, les espérances qu’il caressait. Restent les aigreurs des amours trahies que l’humour noir, typiquement britannique, lance effrontément, et qui font mouche à chaque trait.
Dans son adaptation pour le cinéma* Terence Rattigan signa un scénario qui laisse espérer des jours meilleurs pour celui que les élèves surnomment ici « Croquignol» (« le croulant » dans la version cinéma).
La pièce paraît terriblement pessimiste, mais le personnage de Taplow n’est pas si noir qu’il paraît, et Hunter beaucoup moins amoral qu’on pensait. Et Crocker se ressaisit…
Un certain Browning avait traduit l’Agamemnon d’Eschyle, un certain Crocker Harris aussi, et un certain Taplow qui traduisait fort mal, sut se servir de sa dernière version.
photos © Pascal Gély.
* The Browning Version (L’Ombre d’un homme) film d’Anthony Asquith (1951) Prix du scénario à Cannes.
La Version Browning de Terence Rattingan
Adaptation et mise en scène de Patrice Kerbrat
Théâtre de Poche-Montparnasse
01 45 44 50 21
Du mardi au samedi : 21 h,
dimanche : 15 h
17:11 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, littérature, théâtre de poche-montparnasse, terence rattigan, patrice kerbrat, jean-pierre bouvier | Facebook | | Imprimer
12/10/2014
L'amour toujours recommencé
Stéphane (Jean-Pierre Bouvier) a aimé Vincent (Frédéric Nyssen) passionnément. Tout les séparait : l’âge, la situation sociale, le milieu. Deux ans auparavant, Vincent est parti sans explication. Stéphane en souffre encore.
Et, ce soir, dans cette ville au bord de mer où Stéphane a été reçu « comme un prince », ils se rencontrent. Le bar est désert, et ils s’y installent. Ils boivent sec, et à coups de vodka, égrènent des souvenirs et des reproches. Philippe Besson bâtit son intrigue sur un dialogue incisif où le verbe se fait action.
Le metteur en scène, Patrice Kerbrat les installe dans un salon confortable mais les fauteuils club restent vides. Ils sont sur la défensive, rivés au comptoir. Stéphane en costume classique semble à l’aise, mais est attentif à chaque mot, chaque geste de son amant. Vincent, en T-shirt blanc, bras croisés, semble se retenir de bondir et frapper.
Ils parlent, se questionnent, et comme sur un air de tango, esquissent deux pas en arrière vers leurs souvenirs, et un pas en avant pour se réunir. Par instants, le dialogue se fait monologue. Le protagoniste, immobile dans un cerne de lumière évoque le passé, commente l’attitude de l’autre ou la sienne. Jean-Pierre Bouvier a la voix feutrée, douce, celle de Frédéric Nyssen est contenue et rageuse.
Chacun plaide en sa faveur, les torts sont partagés. Le jeune homme a « fait beaucoup de progrès » et a « repris ses études », mais annonce qu’il va se marier. L’homme mûr n’a plus envie de « lui poser des questions », ni de « lui adresser des reproches. » Les égoïsmes s’estompent, car l’important est de montrer à l’autre combien on l’aime.
Amours homosexuelles ? Oui, et alors ? L’émotion naît de la peinture de l’amour quel qu’il soit.
Les deux comédiens rendent vraisemblable un dénouement sans surprises. Quand le jour se lève, derrière les baies vitrées, les deux amants sont réconciliés. Et l’amour, comme la mer est « toujours recommencé ».
Un tango en bord de mer de Philippe Besson
Théâtre 14
01 45 45 49 77
Jusqu’au 25 octobre
Mardi, vendredi, samedi, 20 h 30
Mercredi, jeudi, 19 h
Samedi, 16 h
17:31 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre 14, ph. besson, jean-pierre bouvier | Facebook | | Imprimer