31/01/2013
La femme sacrifiée
Vous les voyez, ces Grecs assemblés devant Troie ? Depuis sept ans, ils sont là, jaloux, rancuniers, querelleurs, avides d’honneurs, de gloire… et de butin. Les tentes sont dressées au bord de la mer, et sur les gradins d’une arène où les guerriers désœuvrés se lancent des défis, Agamemnon (Laurent Natrella), Ulysse (Éric Ruf), Ménélas Akli Menni) et Thersite (Jérémy Lopez) écoutent les rodomontades d’Ajax (Loïc Corbery), en cuirasse, et le glaive à la main (Costumes, Claudia Jenatsch). Ce prétentieux veut relever tout seul le défi d’Hector, le chef des armées troyennes.
Imaginez aussi le vieux Nestor (Michel Favory), et le jeune Diomède (Louis Arene), et vous aurez la presque totalité du camp grec. J’aurais bien voulu vous présenter Achille (Sébastien Pouderoux), beau comme un Dieu, mais il s’est retiré sous sa tente avec son ami Patrocle (Laurent Cogez), après une querelle avec Agamemnon. Shakespeare, dans Troïlus et Cressida ne voile pas leurs rapports sous le terme « d’amitié », mais aborde franchement l’homosexualité, encouragée dans l’Antiquité grecque afin de former des bataillons d’élite. Le texte français d’André Markowicz préfère le mot cru à l’impropriété.
Le camp troyen s’abrite derrière d’épaisses murailles. Pour figurer cet espace, un mur descend des cintres. À sa couleur, on jurerait qu’il est revêtu de bronze. Et contre lui, des échafaudages permettent aux assiégés d’observer l’ennemi aux portes de la ville.
La scénographie imaginée par Éric Ruf pour la mise en scène de son frère Jean-Yves, est chez les Grecs lumineuse et chaude, et bleutée chez les Troyens (Lumières, Christian Dubet)). Dans l’espace étréci, au proscenium, un escalier descend qu’empruntent les fils de Priam pour tenter des percées.
Ils sont nombreux les fils du roi Priam (Yves Gasc). Cinquante, dit la légende. Shakespeare retient Hector (Michel Vuillermoz), Énée (Christian Gonon), Troïlus (Stéphane Varupenne), Hélénus (Lucas Hérault) et le responsable de tout ce gâchis, Pâris (Maxime Taffanel). Et il y a aussi Anténor (Blaise Pettebone), un jeune maladroit que les Grecs viennent de faire prisonnier et qu’ils rendront si on leur livre la belle Cressida (Georgia Scalliet) fille du devin Calchas (Christian Gonon), réfugié dans Troie.
Or, Pandare (Gilles David), son oncle, encourage les amours de Cressida avec Troïlus. Elle est « conquise dès le premier regard », il la poursuit de ses assiduités. Pandare leur offre un lit pour passer ensemble leur première nuit. Ce sera aussi la dernière. Elle venait de jurer fidélité à Troïlus, c’était sans compter sur la raison d’État. Pour récupérer Anténor, Priam la livre aux Grecs.
Hector voulait qu’on rende Hélène à son mari, mais Priam a pris le parti de Pâris, et, malgré les vaticinations de Cassandre (Carine Goron), les supplications d’Andromaque (Nelly Pulicani), tous s’apprêtent à combattre.
Les Grecs « avaient juré de piller Troie » et de ramener Hélène à Ménélas, pour l’instant, ils se contenteront de Cressida, et entendent exercer un peu le droit du vainqueur. La pauvre Cressida, pour éviter le pire, choisit Diomède comme protecteur. Troïlus, fou de jalousie le tue. Achille abat Hector.
Si vous ne connaissez que la version racinienne de la guerre de Troie (Andromaque) ou les films nombreux inspirés par l’Iliade, vous serez surpris du mélange des genres. Aux côtés des personnages tragiques, se tiennent des « clowns » et des « fous ». éternels optimistes, souvent grugés, jamais vaincus, comme Pandare, ou des contestataires bourrus comme Thersite, ils donnent au drame des moments de respiration ludique. Viennent aussi les leçons politiques et morales, moins agréables, mais, hélas ! éternelles ! Et la femme sacrifiée est accusée de fausseté.
Pas une erreur dans la distribution. On ne louera jamais assez la troupe de la Comédie-Française.
La représentation paraît un peu longue à certains spectateurs, mais elle ne dure pas plus que Cyrano de Bergerac et moins que La Villégiature, et enfin, comme dit le spectateur ordinaire : « on en a pour son argent » !
Photos © Christophe Raynaud de Lage
Troïlus et Cressida de Shakespeare, traduction d’André Markowicz,
Mise en scène de Jean-Yves Ruf
Texte édité aux Solitaires Intempestifs, 2006.
Comédie-Française, Salle Richelieu, matinée à 14h, soirées à 20h30.
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17:16 Écrit par Dadumas dans Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : comédie-française, troïlus et cressida, jean-yves ruf, eric ruf | Facebook | | Imprimer
29/01/2013
Des frères amis
Il semble qu'on ait confondu, Jean-Yves Ruf et son frère Éric Ruf.
On trouve les deux frères, amis bien sûr, ensemble, effectivement, dans la distribution de Troïlus et Cressida qui vient d'être créé à la Comédie-Française. Nous en reparlerons.
Jean-Yves Ruf en est le metteur en scène, il a été formé au Théâtre national de Strasbourg, il a mis en scène la pièce de Shakespeare dans la traduction d'André Markowicz.
Éric Ruf, lui, après les Arts appliqués, l'école Florent, le Conservatoire national supérieur d'art dramatique est entré à la Comédie-Française en 1993, il en est devenu sociétaire en 1998. Il joue le rôle d'Ulysse dans la pièce dont il signe la scénographie.
Tout le monde peut se tromper. Mais rendons à Jean-Yves ce qui est à lui, et n'attribuons pas à Éric ce qui ne lui appartient pas.
Troïlus et Cressida
salle Richelieu
23:15 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : comédie-française, Éric ruf, jean-yves ruf, troïlus et cressida | Facebook | | Imprimer