15/03/2013
La troisième tête
La justice humaine est faillible. Après la Libération, les mêmes flics qui avaient arrêté les résistants, les mêmes juges qui les avaient condamnés, arrêtèrent et jugèrent ceux que la vindicte qualifiait de « collabos ». Il y avait des gens odieux qui, habilement avaient servi les uns et les autres et qui furent blanchi. La Justice ne fut pas toujours intègre et les compromissions, les vengeances, l’esprit de corps et la force de « la chose jugée » entraînèrent bien des erreurs judiciaires.
Marcel Aymé, dans La Tête des autres, s’en souvient. Comment ne pas penser à Joanovici, dit M. Joseph, sous les traits d’Alessandrovici (Serge Bagdassarian), qui a « vendu de tout aux Allemands », et achète maintenant les consciences ? Comment ne pas imaginer, sous l’imperméable de Gorin (Félicien Juttner) et de Lambourde (Clément Hervieu-Léger), les tristement célèbres Bonny et Lafont, prêts à tout pour s’enrichir et même à trouver « un » coupable et non « le » coupable. Et la condamnation de l’innocent, Valorin (Laurent Lafitte), n’évoque-t-elle pas un peu celle de Mis et Thiennot ?
Mais au-delà des circonstances exceptionnelles de l’époque, l’auteur met en cause les hommes qui régissent le système judiciaire, leur vénalité, leur soif d’honneurs et leur servilité.
Le procureur Maillard (Nicolas Lormeau) vient d’obtenir sa « troisième tête », celle de Valorin, un jeune musicien de jazz accusé d’un crime crapuleux. Il clame son innocence mais ne connaît pas le nom de la femme avec laquelle il a passé la nuit. Maillard est éloquent. Sans preuve, rien qu’avec des présomptions, Valorin est condamné à mort. Maillard triomphe. Ses amis, le procureur Bertolier (Alain Lenglet) et sa femme Roberte Bertolier (Florence Viala) le félicitent, son épouse, Juliette Maillard (Véronique Vella), est heureuse et, « toute la soirée », ses enfants « ont joué à se condamner à mort ». Maillard est un grand homme.
Maillard est un Tartuffe. Il trompe sa femme avec Roberte, la femme de Bertholier. Et Valorin, qui s’est échappé, affirme « que cette femme est une garce », puisque c’est avec elle qu’il a passé la nuit du crime. Elle le reconnaît, elle avoue. Mais quel est plus important ? Rendre justice et « compromettre la femme d’un magistrat » ou se débarrasser de l’innocent devenu encombrant ? Si Bertholier est un « cocu », Maillard est un « vendu », et si Roberte est une « criminelle », il ne manque à Juliette qu’un peu de « sex-appeal », pour passer du statut de mère à celle de « putain ».
Dans la scénographie de Oria Puppo, la mise en scène de Lilo Baur, commence dans un salon bourgeois cossu, se resserre dans l’office fonctionnel et dépouillé, puis plonge dans l’antre du gangster, qui « vit grassement sur le fumier des scandales », avec ses sbires, l’assassin Dujardin (Mich Ochowiak), la secrétaire pin-up Renée (Laure-Lucile Simon). Enfin, le fond s’ouvre dans des fumées infernales, et Alessandrovici disparaît mais pas pour longtemps, puisque Maillard et Bertholier vont courir se mettre à ses ordres.
La metteuse en scène a choisi la première version du dénouement, celle de 1952, où l’intervention d’Alessandrovici permettait à la pièce de finir en comédie. Lilo Baur montre comment craque le vernis des bonnes manières. Un mot de trop, les insultes pleuvent, et ils en viennent aux mains. Les gifles claquent, et c’est le condamné à mort qui sépare les combattants ! Les comédiens ont adopté les attitudes de personnages ambigus, des gestes de fauves prêts à bondir. Les lumières de Gwendal Malard soulignent ces effets cinématographiques. La représentation ne peut laisser insensible. Le spectateur assiste là à un fameux réquisitoire contre la peine de mort, l'inéquité des institutions et la méchanceté des hommes.
« L’injustice est en nous », et le désir aussi puisque Valorin qu’on aurait cru plus probe, se roule sur le canapé avec Roberte, abandonnant Juliette à l’amertume. « Est-ce que je parle d’amour ? » demande-t-il.
L’univers de Marcel Aymé parle de désillusion et de personnages en quête de vérité et d’amour.
Photos © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française
La Tête des autres de Marcel Aymé
Théâtre du Vieux-Colombier
Jusqu’au 17 avril
01 44 39 87 00/01
11:23 Écrit par Dadumas dans Blog, Littérature, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, comédie-française, marcel aymé, lilo baur | Facebook | | Imprimer
30/11/2009
Un loup apprivoisé
Elles sont délicieuses ces petites ! Et si l’une est plus blonde que l’autre, l’une plus sage, l’autre plus effrontée, Delphine (Florence Viala) et Marinette (Elsa Lepoivre) sont les plus jolies de monde. Le loup en est tout attendri. Il voudrait bien entrer se chauffer chez elles, et elles aimeraient bien jouer avec lui. Car à deux, les jeux sont beaucoup plus limités qu’à trois. « À trois, c’est bien mieux/ Beaucoup mieux/ Qu’à deux » chantent-elles. Bien sûr, les parents (Sylvia Bergé et Jérôme Pouly) ont interdit qu’elles sortent ou qu’elles ouvrent la porte à quiconque, et surtout pas au loup qui a la réputation de dévorer les petites filles.
Mais « le souvenir du fruit défendu est ce qu’il y a de plus ancien dans la mémoire de chacun de nous, comme dans celle de l’humanité. »*, et Delphine et Marinette ne résistent pas à la tentation.
Il faut avouer qu’elles étouffent dans leur lit clos, dans leur maison barricadée, dans leur univers fermé. Il faut avouer qu’il est bien sympathique ce loup (Michel Vuillermoz) qui raconte des histoires, et ouvre les fenêtres et les portes. Avec lui, on respire, on bouge, on apprend le monde. Elle l’ont vite apprivoisé, et lui, les a conquises.
Le public aussi est conquis. Il exulte. Les décors rustiques d’Éric Ruf ont la beauté du merveilleux. La musique originale de Vincent Leterme est inspirée. Les couplets additionnels de Lucette-Marie Sagnières s’intègrent parfaitement à l’esprit de Marcel Aymé. Et la collaboration magique de Félicien Juttner chatouille l’imaginaire, tandis que les éclairages d’Arnaud Jung créent une atmosphère mystérieuse et captivante. La mise en scène de Véronique Vella, qui se garde bien « d’adapter » restitue tout le charme des Contes du Chat Perché.
Naturellement, les parents avaient raison. Mais en partie seulement. C’est vrai que le loup n’est pas méchant par destination. Le loup peut jouer à la ronde, à cache-cache, au cheval, mais surtout pas au loup ! Car, alors tous ses mauvais instincts se réveillent, et ses antécédents assassins se raniment. « Loup y es-tu ? » devient une provocation…
N’en est-il pas de même pour les humains ?
Heureusement, tout se termine bien. Morale et sentiments sont saufs. Et, la troupe de la Comédie-Française accomplit une éblouissante prouesse artistique…
* Bergson Henri, Les Deux Sources de la morale et de la religion
Le Loup de Marcel Aymé in Les Contes du Chat Perché, Gallimard.
Studio de la Comédie-Française
Jusqu’au 17 janvier 2010
rencontre avec le public et l'équipe artistique le 17 décembre après la représentation
01 44 58 98 58
09:53 Écrit par Dadumas dans éducation, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre, littérature, marcel aymé, comédie-française | Facebook | | Imprimer