05/03/2017
Un coeur pétri de tendresse
C’est une fable étrange qu’Honneur à notre élue, la nouvelle pièce de Marie NDiaye.
Elle raconte l’histoire des rivalités à la tête d’une petite ville. Notre Élue (Isabelle Carré) lui a apporté, l’aisance, la sécurité, le développement. Bref, depuis qu’elle est à la tête de la municipalité, tout prospère. Tout le monde l’aime. Sauf le clan de L’Opposant (Patrick Chesnais). Encore ce dernier a-t-il beau se « creuser la tête pour trouver quelque chose de dégueulasse à lui jeter dans les pattes », il ne parvient pas à la haïr. Son conseiller Sachs (Jean-Charles Clichet), s’en inquiète. Ils vont trouver la faille. Ils ne savent rien d’elle, ils vont lui inventer des parents abandonnés : le vieux (Jean-Paul Muel) , la Vieille (Chantal Neuwirth) qui se répandront en calomnies.
Marie NDiaye suit avec art la démonstration magistrale des ravages de la calomnie, tels que Beaumarchais les décrits : d’abord pianissimo qui « sème en courant le trait empoisonné », puis « rinforzando de bouche en bouche » jusqu’au moment où la calomnie s’enfle et « tourbillonne », puis « éclate et tonne », jusqu’à devenir « chorus universel de haine et de proscription ».
Au théâtre, comme dans la vraie vie, Notre Élue aurait dû se battre, réfuter les accusations fallacieuses, comme l’y invite son entourage. Elle n’en fait rien. La fable dramatique devient alors conte philosophique, tendance Socrate et Platon pour lesquels « la vertu est suffisante pour le bonheur. » Ni elle, ni l’opposant ne portent une identité claire, distincte, ce sont des figures presque mythiques.
La scénographie de Chantal Thomas habille l’espace de tapisseries centenaires qui vont s’effondrer comme les réputations. La mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia ne lésine pas sur les effets spéciaux. Dans les lumières de Roberto Venturi, il triple l’image (vidéo :Pierre Nouvel), fait résonner les échos maléfiques (son et création musicale : Sébastien Trouvé), habille de blanc l’angélique victime (costumes : Pauline Kieffer), l’entoure de jeunes choristes aux voix célestes (Conservatoire à rayonnement régional d’Angers).
La fragile silhouette d’Isabelle Carré traverse les espaces et les avanies comme une figure christique. Elle reste droite contrairement à Patrick Chesnais son opposant, qui cherche sans cesse, un appui, un fauteuil, une marche.
Notre élue accepte l’indignité et le sacrifice. Ni la jeune fille (Claire Cochez), ni la Femme (Agnès Pontier), ni Eva(Christelle Tual) ne la font changer d’attitude. Quand Keller (Jan Hammenecker) la trahit, elle s’accuse de n’avoir pas été vigilante. Quand son mari (Romain Cottard) la somme de choisir entre lui et ses soi-disant parents, elle pense qu’ils « doivent avoir souffert ». Rien ne détourne ce cœur « pétri de tendresse », si bien que L’Opposant gagne les élections, mais abandonne le pouvoir. Hélas ! Pour la morale civique, c’est Sachs l’avide sans scrupules qui s’en empare.
Et là, on peut se dire que Marie NDiaye colle à la réalité.
Honneur à notre élue, de Marie NDiaye
mise en scène : Frédéric Bélier-Garcia
Théâtre du Rond-Point
01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr
Du mardi au samedi à 21 h, le dimanche à 15 h
Jusqu’au 26 mars
15:20 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre du rond-point, marie ndiaye, isabelle carré, patrick chesnais | Facebook | | Imprimer