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01/10/2008

Le cavalier de la Révélation

 

Le cas d’Alan Strang (Julien Alluguette) est étrange, et la Juge (Delphine Rich) est persuadée d’être « confrontée à l’affaire la plus perturbante de (sa) carrière ». Elle supplie le Docteur Martin Dysart (Bruno Wolkowitch) de le « prendre en charge ». Le jeune homme a « crevé les yeux de six chevaux dans le manège où » il était palefrenier. Crime abominable pour une société où l’animal est mieux protégé que les enfants. Crime impardonnable puisqu’il touche à toute la mythologie chrétienne et païenne.

 

Le fantasme est enfoui au plus profond de l’homme : qu’il s’appelle, Pégase, les centaures, Bucéphale, les cavales sauvages des territoires inconnus, les cavaliers de l’Apocalypse ou Mazeppa, pour peindre ce rêve de « course comme un vol », qui ouvre « tous les champs du possible et les mondes de l’âme »*, l’image du cheval traverse les continents et les âges. Peter Shaffer le reprend, dans Equus, ouvrant les doctrines de la Kabbale avec les clés de la psychanalyse.

 

Car la religion est ici cause d’aliénation. Dora, la mère du coupable, (Christiane Cohendy) a nourri l’enfance du petit garçon avec des lectures pieuses et des images dévotes que le père (Didier Flamand) blâme ouvertement. Serait-ce suffisant ? Pas encore ! Il faut aussi parler de sexualité. Celle du petit garçon a été éveillée accroché à la crinière d’un grand cheval, contre un cavalier éblouissant (Jeoffrey Bourdenet) qui l’initiait au plaisir du galop.

 

Cette première émotion a fixé le devenir d’Alan. L’inconnu est devenu le cavalier de la Révélation. L’enfant a juré « fidélité et vérité » à l’animal, equus en latin, il s’y est assujetti. Embauché dans un manège, il en devient l’esclave. Mais c’est de nuit, clandestinement qu’il le monte, en récitant comme une litanie, la généalogie du pur-sang.

 

L’infirmière revêche (Joséphine Fresson), le directeur du manège (Alain Stern) complètent la société qui condamne Alan. Martin Dysart aide Alan à accoucher de tous ses secrets. Il révèle aussi la médiocrité des siens, sa petite vie tiède, sans passion. Bruno Wolkowitch, les cheveux gominés, assume avec brio le rôle écrasant du psychiatre. Il tient en permanence la scène, passant d’un lieu à un autre, d’un temps à un autre, questionnant sans faillir tous les acteurs du drame, et recollant les bribes éparses des confessions, afin que le spectateur comprenne l’énigme que pose ce garçon. Christiane Cohendy est bouleversante dans ce cri maternel : « Nous n’avons rien fait de mal. Nous avons aimé Alan, de notre mieux, avec tout l’amour possible. », Didier Flamand, Delphine Rich l’épaulent avec toutes les finesses de leur talent.

 

Didier Long, le metteur en scène a travaillé sur une nouvelle adaptation de Pol Quentin, qui avait déjà traduit le texte en 1976. C'est très impressionnant. Les éléments du décor (de Jean-Michel Adam) glissent sur le plateau, descendent des cintres, recréent l’arène du manège. Trois jeunes hommes au physique de danseurs miment les chevaux. Ils portent des masques de fil de fer en forme de tête de cheval. Nous allons l’amble, moins comme chez Jean-Louis Barrault, que comme chez Cocteau où « le sang du poète » rougit les rêves de transgression.

 

« Éternel ! Tes yeux ne regardent-ils pas à la fidélité ? » est-il dit dans la Bible (Jérémie), où des rois barbares, pour cacher leurs forfaits crèvent inutilement les yeux des témoins. Le péché de la chair mérite-t-il tant de crimes ?

 

 

 

 

 

 

* Extraits de Mazeppa de Victor Hugo (Les Orientales)

 

 

Equus de Peter Shaffer

Théâtre Marigny

0892 222 333