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28/09/2016

Le jeu du désamour

 

 

théâtre,théâtre de l'atelier,simenon,didier long,myriam boyer,jean benguiguiCes deux-là n’auraient jamais dû se rencontrer. Elle, Marguerite (Myriam Boyer) petite-fille de bourgeois chef d’entreprise, et lui, Émile (Jean Benguigui), vrai prolo. Mais ils vivent dans le même quartier d’une banlieue où les prometteurs immobiliers démolissent les pavillons et les usines désaffectées. Elle est veuve, lui aussi. Ils avaient cru qu’ « unir leurs solitudes » suffirait à recréer un couple. Celui du Chat dans le roman de Georges Simenon est terrifiant de détestation. Pour la première fois au théâtre, l’adaptation du roman, signée Christian Lyon et Blandine Stintzy restitue l’atmosphère sombre du roman.

Elle aime la grande musique, lui préfère guincher dans les guinguettes. Elle a un perroquet, Coco, parce que « ça lui fait quelqu’un à qui parler ». Il a reporté toute son affection sur le chat qu’il a recueilli, et nommé Joseph. Elle est bigote et trouve choquant de donner un nom de saint à un animal. Femme de principes et homme intègre, ils ont vécu jusqu’alors des petites vies résignées et remué des pensées mesquines. Ils ne vont pas réussir à s’apprivoiser. Car, comme toujours chez Simenon, les protagonistes, contraints par leur position sociale, ont un passé qui brise tout élan vers l’autre. Quand le chat meurt, les couteaux sont tirés, les hostilités commencent.

Nous ne saurons jamais qui a tué le chat Joseph, mais peu à peu, par des retours en arrière, des bonds au présent, nous apprendrons tout du désert affectif de Marguerite et d’Émile.théâtre,théâtre de l'atelier,simenon,didier long,myriam boyer,jean benguigui

La mise en scène de Didier Long présente remarquablement les trois temps de ce jeu du désamour. Dans les lumières de Philippe Sazerat, le décor Jean-Michel Adam installe à jardin, la cuisine de formica, modeste et propre, à cour le salon, simple et confortable. Au centre de la scène un panneau tournant montre le temps de la rencontre et de l’espoir, avec l’image colorée et chaude d’une petite rue provinciale pavée, bordée de charmantes maisonnettes. Puis vient le temps des malentendus, avec les pavillons murés et le ciel gris rayé par le bras d’une grue menaçante. Enfin, apparaît le temps de la malveillance et des antagonismes, avec l’amas de gravats et de moellons, les grues, et une bande sonore insidieuse qui use les nerfs et empêche toute communication. La musique de François Peyrony souligne les sentiments des deux personnages. Il est odieux. Elle devient abominable. Ils se haïssent et chacun sait que « la haine est l’hiver du cœur »[1].

Myriam Boyer interprète une Marguerite revêche, guindée, mais attendrissante par instants, murée à jamais dans une posture d’enfant, bouleversante dans sa confession : « mon cœur n’a pas grandi, il s’est recroquevillé. » Jean Benguigui compose un balourd impressionnant qui voudrait bien faire et n’en peut mais.

La direction d’acteurs de Didier Long les rend poignants tous les deux. Nous ne pourrons pas donner raison à l’un ou l’autre, car c’est cet étrange duo qui nous émeut et qu’il faut voir. Nous en serons peut-être plus indulgents envers ceux que la vie a malmenés.

 

 

 

 

Le Chat d’après l’œuvre de Georges Simenon

Adaptation de Christian Lyon et Blandine Stintzy

Mise en scène de Didier Long

Théâtre de l’Atelier

01 46 06 49 24

Du mardi au samedi 21 h

Dimanche à 15 h

 

 

[1] -Victor Hugo. Les Contemplations, « Il fait froid ».

05/10/2015

Danser comme des païennes

 

théâtre,théâtre de l'atelier,b. friel,didier long Il y en a qui sont persuadés que nos racines sont chrétiennes, les ignorants ! Ils ont tout oublié de nos racines païennes, ou alors, ils ne les connaissent pas. Ils devraient aller plus souvent au théâtre. Car, Brian Friel*, un Irlandais — et qui est plus catholique qu’un Irlandais ?— nous rappelle, avec Danser à la Lughnasa que dans la mythologie celte, les paysans, après la moisson, fêtait le dieu Lug. 

Et, nous dit Wikipédia : « Il s’agit de la fête du roi dans sa fonction de redistributeur des richesses et d’équité, sous l’autorité des druides . C'est une trêve militaire qui célèbre la paix, l’amitié, l’abondance et la prospérité du royaume. Elle est obligatoire et réunit les trois classes (sacerdotale, guerrière et artisanale) de la société celtique. » Il paraît qu’il y avait l’équivalent en Gaule, le Concilium Galliarum.

Quand ils sont devenus chrétiens, les Irlandais ont conservé cette fête païenne.

Et, au cœur de cet été 1936, les cinq sœurs Mundy voudraient bien aller fêter la Lughnasa. Agnès (Léna Bréban), Rose (Lola Naymark), Kate (Claire Nebout), Maggie (Florence théâtre,théâtre de l'atelier,b. friel,didier longThomassin), sont encore célibataires, et regardent avec envie leur petite sœur, Chris (Lou de Laâge) qui, elle, a connu l’amour dans les bras d’un beau parleur Gerry (Alexandre Zambeaux). Sacré drôle ce Gerry ! Affabulateur comme le Mahon imaginé par Synge, (Le Baladin du monde occidental) et allant d’échec en échec dans tous ses projets comme le Platonov de Tchékhov. Les femmes, elles sont des sacrifiées. Vies ratées, tragiquement solitaires, mais que la confiance en l’avenir, la foi, tiennent debout. Alors, cet été-là, elles veulent enfin s’amuser, danser comme des païennes.

théâtre,théâtre de l'atelier,b. friel,didier longLeurs chamailleries, leurs espoirs, leurs secrets et leurs désillusions nous sont contés, quelque cinquante années plus tard, grâce à l’enfant, devenu homme, puis vieillard (Philippe Nahon).

Le metteur en scène, Didier Long, restitue avec finesse l’atmosphère violente et tendre de cette famille, la gravité de cette époque. Il signe avec Bernard Fau une scénographie adroite. Les comédiens, bien dirigés, transmettent la fragilité de ces personnages, le rêve et l’amertume de ces destins ordinaires.

 

Photos : © Christophe Vootz

 

 

Danser à la Lughnasa de Brian Friel

Texte français de Alain Delaye

Théâtre de l’Atelier

01 46 06 49 24

 

 Brian Friel né en1929 en Irlande du Nord est mort le 2 octobre 2015.

09/09/2014

Apprendre la vie

 

théâtre,théâtre de poche-montparnasse,ludmilla razoumovskaïa,didier longElena Sergueievna n’en revient pas. « Au nom de la terminale B », quatre de ses élèves, Lialia (Jeanne Ruff), Pacha (Gauthier Battoue), Vitia (Julien Crampon), Volodia (François Deblock), viennent sonner à sa porte, pour lui souhaiter son anniversaire ! Ils apportent bouquet, cadeau et champagne. Comment ne pas être touchée par tant d’attentions ?

Elle vivait avec sa vieille mère maintenant à l’hôpital, elle est donc solitaire, sans joie, et leur gentillesse la bouleverse. Elle les fait entrer. Ils trinquent ensemble. théâtre,théâtre de poche-montparnasse,ludmilla razoumovskaïa,didier longMais leurs prévenances durent peu. En réalité, ils ont appris qu’elle détenait la clé du coffre qui enferme leurs copies d’examen. Ils ont besoin de bonnes notes en maths pour continuer leurs études, et entrer dans les carrières qu’ils ont choisies. Ils se sont procuré le corrigé. Et ils sont sûrs de la réussite de leur stratégie.

Ils semblaient respectueux, prévenants, reconnaissants, ils n’étaient rien de moins que des pervers roublards, cyniques, cruels. Elena découvre des arrivistes prétentieux, des « esprits fascistes » prêts tout pour réussir. Elle veut les chasser, ils s’incrustent. Elle refuse de donner la clé, il la fouille, et ne la trouvant pas sur elle, retourne tout l’appartement. Ils se moquent de son idéalisme, de son « complexe d’Antigone ». Car elle est celle qui dit « non ».

Au bout d’une nuit de cauchemar où rien ne lui sera épargné, elle n’a toujours pas cédé. Pourtant, elle a décidé de renoncer à l’enseignement, consciente d’avoir échoué dans sa mission, ayant perdu toute illusion sur la bonté du genre humain. « Petit morveux, vous voulez m’apprendre la vie ? », lance-t-elle à celui qui manipule le groupe. Car dans cet affrontement, les failles sont apparues. Et malgré leurs bassesses, Vitia et Lialia sont plus pitoyables que méchants, Volodia plus poseur qu’indigne. Ils croient tout savoir de la vie, Elena a encore bien des choses à leur apprendre.

Dans Chère Elena, Ludmilla Razoumovskaïa peignait, en 1981, une société soviétique en pleine déréliction, quand elle fut créée en France, en 2002, à Aubervilliers, elle parut prémonitoire, car déjà, le mal, dans les banlieues avait atteint notre jeunesse, et des enseignants désemparés renonçaient à leur rôle. Aujourd’hui la gangrène a gagné.

Didier Long règle ce drame avec minutie, dans la scénographie qu’il signe avec Jean-Michel Adam. Il en montre toutes les nuances et les coups de théâtre. Les quatre jeunes bien propres dans leur uniforme vont peu à peu se chiffonner, se salir, les sourires s’effacer, la violence apparaître, les apartés briser les âmes, et Myriam Boyer les affronte, souveraine désespérée mais  inébranlable…

Il reste encore une traîtrise à lui jouer. Mais finalement, qui sera vaincu ?

Je vous laisse le découvrir.

 

 

 

 

 

Depuis le 2 septembre

Théâtre de Poche-Montparnasse

Chère Elena de Ludmilla Razoumovskaïa

Traduction de Joëlle et Marc Blondel

Du mardi au samedi, 21 h

Dimanche à 15 h

Et si vous ne pouvez pas venir à Paris voir Chère Elena, vous pouvez lire le texte, il est édité à L’Avant-Scène Théâtre, collection des Quatre-Vents.