29/09/2013
Mensonge crédible
Ses premières pièces parlaient d’amour. Quand j’avais publié Accalmies passagères (1997), j’avais évoqué la cruauté des personnages de Marivaux et de Rohmer, leurs tourments, leurs doutes, et la souffrance qu’ils cachaient mal derrière leur ironie. Itinéraire bis (2001) et Futur conditionnel (2008) racontaient des amours angoissées, des renoncements, des désespoirs masqués d’humour, puis de mensonges dans Sans mentir (2008).
Xavier Daugreilh, aujourd’hui, place le mensonge au centre de son œuvre : Mensonges d’état. Et il ne parle plus d’amour, ou si peu ! L’Histoire entre en scène. Et avec quelle maîtrise !
Nous sommes en 1944, et les Alliés préparent le débarquement. Mais, pour éviter que ne se reproduise le désastre de 1942, à Dieppe*, les Anglais et les Américains décident de faire croire que l’opération Fortitude (« courage » en anglais) qui se prépare sur les côtes normandes ne sera qu’une diversion, que le vrai aura lieu en Aquitaine ou à Calais. Il faut donc mentir à tous, et rendre « le mensonge crédible ».
D’un côté les Anglais, le colonel Bannerman (Samuel Le Bihan) et le Wing Commander Whitley (Éric Prat) et les Américains, le général Patton (Jean-Pierre Malo) et le major Banks (Michael Cohen), élaborant une stratégie complexe avec des troupes fantômes, de faux chars, faux avions, faux aérodrome, faux incendies, faux pompiers, faux télégrammes, faux messages radio - mais de vrais morts sacrifiés au nom de la raison d’état,- et, pour faire bonne mesure, un agent double : une Hongroise, Garbo Anasztazia Bàlint (Marie-Josée Croze), et René, un jeune Français (Aurélien Wiik) qui rêve d’action. Au même moment, le colonel Von Roenne, chef des services de renseignements allemands,(Bernard Malaka), de l’autre côté du Rhin épluche les messages, scrute les photos, croise les renseignements et se méfie des Anglais, sans se douter que Pietzsch, son aide de camp (Pierre Alain-Leleu) est lui-même un agent de liaison « retourné ».
Le décor de Pierre-Yves Leprince change rapidement : deux bureaux, deux lieux comme en un montage alterné cinématographique, pour des séquences rythmées, dans l’intervalle desquelles le metteur en scène, Nicolas Briançon, projette des images d’actualités de l’époque, une chanson cocardière, des musiques de Wagner et de Beethoven. Les lumières de Gaëlle de Malglaive conduisent ces changements sans temps mort. Le spectateur est emporté dans le tourbillon de l’Histoire, passionnément accroché par les péripéties et les répliques.
Xavier Daugreilh donne à son Patton la truculence ironique qui le rend vraisemblable, et aux stratèges alliés le cynisme de ceux qui sacrifient tout à leur but suprême. Il n’abandonne pas totalement les jeux de l’amour en inventant le personnage d’Anaztazia, inspiré de l'agent Garcia, alias Garbo, alias Arabal, - qui , à ma connaissance était du sexe masculin, mais "personne n'est parfait!" - et le trouble dans lequel cette femme jette le major américain induit sa fin tragique, aboutissement de toutes les manipulations des apprentis sorciers galonnés. Mais l’intérêt de Mensonges d’état réside dans l’attention que l’auteur porte à la « responsabilité des hommes », comme Shakespeare, Byron, Montaigne qu'il lui arrive de citer.
On disait souvent que seuls les auteurs anglais savaient animer leurs œuvres du souffle de l’Histoire. Après Pinter, Hare, Wesker, Harwood et Barker il faudra désormais compter avec Xavier Daugreilh.
Photos : © Pascal Victor
· * L’opération Jubilee fut une tentative de débarquement des Alliés le 19 août 1942 sur le port de Dieppe. Après neuf heures de combat, ils durent réembarquer. Près de 2000 hommes y laissèrent leur vie. Autant furent faits prisonniers.
Mensonges d’état de Xavier Daugreilh
Théâtre de la Madeleine
01 42 65 07 09
www.theatredelamadeleine.com
14:40 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre de la madeleine, xavier daugreilh, nicolas briançon | Facebook | | Imprimer
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