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05/02/2017

Le jeu des ambitions

 

 

Théâtre, Théâtre La Bruyère, Eric Métayer, Nicolas Briançon, Ira LevinSidney Brown (Nicolas Briançon) brillant auteur dramatique, spécialisé dans le polar n’a plus de succès. Pire, il est en panne d’inspiration. Et quand arrive par la poste un manuscrit écrit par un des élèves, Clifford Anderson (Cyril Garnier), qu’il a formé lors d’un séminaire à l’université, cette pièce, Piège mortel, lui semble un chef d’œuvre. il laisse éclater sa jalousie et sa hargne. Il monte alors un piège diabolique pour se débarrasser de ce rival ? Et ce n’est pas Myra son épouse (Virginie Lemoine), timorée et fragile qui peut l’en détourner. Il convoque le jeune prodige sous prétexte de l’aider, se dit « flatté » par sa confiance, son intelligence, ses connaissances.

Mais Clifford Anderson (Cyril Garnier) est-il aussi naïf qu’ils le supposent ? Que nous le supposons tous ? Et le don de voyance de la voisine saxonne, Helga ten Dorp (Marie Vincent) qui prédit "un grand danger", est-il réel ? Et l’avocat de Sidney (Damien Gajda) est-il aussi dévoué qu’il paraît ?Théâtre, Théâtre La Bruyère, Eric Métayer, Nicolas Briançon, Ira Levin

Bien sûr, on ne peut pas vous raconter tous les retournements de situation, de Piège mortel, la pièce d’Ira Levin, que Sidney Lumet adapta pour le cinéma en 1982 (Deathtrap), et que Gérard Sibleyras adapte aujourd’hui pour la scène française avec le talent qu’on lui connaît.

Mais on vous assure que vous passerez une soirée exceptionnelle, car Nicolas Briançon et Cyril Garnier forment un duo épatant, pervers, ambigu et comique à la fois, Virginie Lemoine en épouse apeurée et toujours aimante est émouvante, Marie Vincent joue avec talent une de ces extravagantes que le théâtre anglais (et américain) affectionne et qui nous font accepter les pires forfaits. Et comme c’est Éric Métayer qui s’est occupé de la mise en scène et de la scénographie, l’intrigue galope et rebondit.

Aux jeux des ambitions on peut préférer l’actualité, mais c’est plus dangereux et moins plaisant que Piège mortel.

 

 

Photos : © LOT

 

Piège mortel d’Ira Levin, adaptation de Gérald Sibleyras

Mise en scène d’Éric Métayer

Théâtre La Bruyère

Du mardi au samedi à 21 h

Samedi à 15 h 30

www.theatrelabruyere.com

01 48 74 76 99

 

25/11/2016

Des amis susceptibles

 

 

 

Théâtre, théâtre poche-montparnasse, Nathalie Sarraute, Nicolas Briançon, Nicolas Vaude
L’un, débonnaire (Nicolas Briançon), s’inquiète du comportement rancunier de l’autre (Nicolas Vaude). Ils sont amis depuis longtemps, et pourtant, quelque chose ne va pas entre eux.

Quoi ?

« Rien ». Mot magique qui sert chaque fois qu’on n’a pas envie de donner les raisons de sa rêverie, de sa bouderie, de ses angoisses.

Car ce « rien-là » est « tout » à celui qui est ombrageux et perçoit l’ironie, le jugement défavorable dans un changement de ton, un silence une exclamation. Il en est qui rompent « pour un oui pour un non », et Nathalie Sarraute fait de la susceptibilité, un enjeu théâtral jubilatoire.

Pour cet affrontement oxymorien, Léonie Simaga donne à ses personnages aux idées sombres, des vêtements assortis, et les place dans un décor d’un blanc angélique (Décors et lumières Massimo Troncanetti).

Entre «non-dit » et « trop-dit », les fâcheries anciennes réapparaissent, la dispute s’envenime, la fracture se creuse. Tout est prétexte à reproches, amertume et rancoeurs. Et l’appel à témoin (Roxanna Carrara) n’apaisera pas les tensions.

Nicolas Vaude joue le marginal à l’esprit tortueux. Il se recroqueville comme un adolescent blessé, lance des regards par en dessous, se redresse comme un serpent prêt à mordre, suce les mots qui font mal avec délectation. Nicolas Briançon, le regard bleu qui force les aveux, prend des airs paternels, maîtrise en force ses agacements, tente de garder le visage serein, le ton mesuré.

On retrouve ici le plaisir qu’on eut, il y a quelques années, aux échanges de Jacques et son maître par les deux mêmes comédiens. Le grand art du duo !

 

 

Photo :© Brigitte Enguerand 

 

 

Pour un oui pour un non de Nathalie Sarraute

Mise en scène Léonie Simaga

Théâtre de Poche-Montparnasse

Du mardi au samedi à 19 h, dimanche 17 h 30

01 45 44 50 21

 

 

29/09/2013

Mensonge crédible

 

  

théâtre,théâtre de la madeleine,xavier daugreilh,nicolas briançonSes premières pièces parlaient d’amour. Quand j’avais publié Accalmies passagères (1997),  j’avais évoqué la cruauté des personnages de Marivaux et de Rohmer, leurs tourments, leurs doutes, et la souffrance qu’ils cachaient mal derrière leur ironie. Itinéraire bis (2001) et Futur conditionnel (2008) racontaient des amours angoissées, des renoncements, des désespoirs masqués d’humour, puis de mensonges dans Sans mentir (2008).

Xavier Daugreilh, aujourd’hui, place le mensonge au centre de son œuvre : Mensonges d’état. Et il ne parle plus d’amour, ou si peu ! L’Histoire entre en scène. Et avec quelle maîtrise !

Nous sommes en 1944, et les Alliés préparent le débarquement. Mais, pour éviter que ne se reproduise le désastre de 1942, à Dieppe*, les Anglais et les Américains décident de faire croire  que l’opération Fortitude (« courage » en anglais) qui se prépare sur les côtes normandes ne sera qu’une diversion, que le vrai aura lieu en Aquitaine ou à Calais. Il faut donc mentir à tous, et rendre « le mensonge crédible ».

théâtre,théâtre de la madeleine,xavier daugreilh,nicolas briançonD’un côté les Anglais, le colonel Bannerman (Samuel Le Bihan) et le Wing Commander Whitley (Éric Prat) et les Américains, le général Patton (Jean-Pierre Malo) et le major Banks (Michael Cohen), élaborant une stratégie complexe avec des troupes fantômes, de faux chars, faux avions, faux aérodrome, faux incendies, faux pompiers, faux télégrammes, faux messages radio - mais de vrais morts sacrifiés au nom de la raison d’état,- et, pour faire bonne mesure, un agent double : une Hongroise, Garbo Anasztazia Bàlint (Marie-Josée Croze), et René, un jeune Français (Aurélien Wiik) qui rêve d’action. Au même moment, le colonel Von Roenne, chef des services de renseignements allemands,(Bernard Malaka), de l’autre côté du Rhin épluche les messages, scrute les photos, croise les renseignements et se méfie des Anglais, sans se douter que Pietzsch, son aide de camp (Pierre Alain-Leleu) est lui-même un agent de liaison « retourné ».

Le décor de Pierre-Yves Leprince change rapidement : deux bureaux, deux lieux comme en un montage alterné cinématographique, pour des séquences rythmées, dans l’intervalle desquelles le metteur en scène, Nicolas Briançon, projette des images d’actualités de l’époque, une chanson cocardière, des musiques de Wagner et de Beethoven. Les lumières de Gaëlle de Malglaive conduisent ces changements sans temps mort. Le spectateur est emporté dans le tourbillon de l’Histoire, passionnément accroché par les péripéties et les répliques.

 théâtre,théâtre de la madeleine,xavier daugreilh,nicolas briançonXavier Daugreilh donne à son Patton la truculence ironique qui le rend vraisemblable, et aux stratèges alliés le cynisme de ceux qui sacrifient tout à leur but suprême. Il n’abandonne pas totalement les jeux de l’amour en inventant le personnage d’Anaztazia, inspiré de l'agent Garcia, alias Garbo, alias Arabal, - qui , à ma connaissance était du sexe masculin, mais "personne n'est parfait!" - et le trouble dans lequel cette femme jette le major américain induit sa fin tragique, aboutissement de toutes les manipulations des apprentis sorciers galonnés. Mais l’intérêt de Mensonges d’état réside dans l’attention que l’auteur porte à la « responsabilité des hommes », comme Shakespeare, Byron, Montaigne qu'il lui arrive de citer.

On disait souvent que seuls les auteurs anglais savaient animer leurs œuvres du souffle de l’Histoire. Après Pinter, Hare, Wesker, Harwood et Barker il faudra désormais compter avec Xavier Daugreilh.


Photos : © Pascal Victor 

 

 

 

·      * L’opération Jubilee fut une tentative de débarquement des Alliés le 19 août 1942 sur le port de Dieppe. Après neuf heures de combat, ils durent réembarquer. Près de 2000 hommes y laissèrent leur vie. Autant furent faits prisonniers.

 

Mensonges d’état de Xavier Daugreilh

Théâtre de la Madeleine

01 42 65 07 09

www.theatredelamadeleine.com