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05/10/2014

Dynamiter le mariage ?

 

Théâtre, S. Thiéry, L. Chollat, Théâtre de la MadeleineAlain Kramer (François Berléand) est un homme sérieux, un avocat renommé. Il déclare à sa femme (Isabelle Gélinas), qu’il a « ramené du travail à la maison » et elle ne le croit pas. Pourquoi ? Parce qu’il est nu, et que son associé Nicolas (Sébastien Thiéry) l’est aussi ? Pourtant, elle qui est ostéopathe, ne devrait pas s’étonner d’une banale nudité… « C’est à cause des micros » dit Nicolas. Et les voilà partis sur des explications contournées qu’elle finirait par gober si, par malchance, elle ne découvrait un préservatif usagé sur le tapis de son salon ! Car c’est au domicile conjugal, dans le canapé, qu’ils se sont réveillés, dans le plus simple appareil,  vers 20 h, dans la pénombre (Lumières : Alban Sauvé), au moment où elle rentrait.

On connaît cette situation de vaudeville. Vous vous souvenez sans doute de La Dame de chez Maxim’  et de Petypon se réveillant avec la môme Crevette dans son lit, après une nuit de beuverie dont il n’a qu’un très vague souvenir. Ici, ni Kramer, ni son complice Nicolas ne conservent le moindre souvenir de ce qui s’est passé « avant ».  Vous vous rappelez sans doute aussi du flagrant délit de La main passe au cours duquel Francine réplique à Chanal son mari : « Qu’est-ce que tu vas encore t ‘imaginer ? ». Dans Deux hommes tout nus, c’est le mari qui demande à sa femme : « Qu’est-ce que tu vas chercher ? »Théâtre, S. Thiéry, L. Chollat, Théâtre de la Madeleine

 Sébastien Thiéry, 
dans Deux hommes tout nus, part de cette situation pour la dynamiter. Les codes volent en éclat. Catherine dit souffrir d’avoir bâti vingt-cinq ans de sa vie sur un mensonge. Son monde s’écroule. Pourtant, elle admet plus facilement l’idée que son mari ait une maîtresse (Marie Parouty) plutôt que d’accepter qu’il soit homosexuel. Et lui, qui consent à crier « Je suis un canard ! » refuse de dire : « Je suis homosexuel ! ». Normal, il n’a pas « de problème avec les canards ». Doit-on en déduire qu’il en a avec les homosexuels ? Sébastien Thiéry, comme Feydeau, sait cultiver la logique dans l’absurde.

La mise en scène de Ladislas Chollat fait pénétrer le spectateur dans l’intimité d’un foyer bourgeois aisé (Décors : Edouard Laug). Un long travelling avant, (Vidéo : Nathalie Cabrol) projeté sur la découverte du fond de scène amène le regard de la rue jusqu’aux fenêtres des immeubles haussmanniens, et franchit les murs, les balcons, les fenêtres. Les êtres vivent sous le regard des voyeurs qui les scrutent et les jugent.

François Berléand sobre, douloureux, affolé maintient le suspens jusqu’au bout. Sébastien Thiéry, seul contre la mauvaise foi, garde  ses allures de Buster Keaton. Isabelle Gélinas déconstruit toutes ses certitudes avec mesure, et Marie Parouty, assume un petit rôle difficile avec élégance.

Il n’y a pas de prêche, pas de démonstration, juste des interrogations, des regards, des soupçons, et des rires qui corrodent le bloc de négations que les protagonistes opposent à l’évidence.

La citadelle du mariage bourgeois s’effrite. Mais heureusement aucune manif pour le défendre ne passe par le théâtre de la Madeleine !

 

 

Photo : © LOT

 

Deux hommes tout nus de Sébastien Thiéry


Mise en scène de Ladislas Chollat

Théâtre de la Madeleine

01 42 65 07 09

Du mardi au vendredi à 20h30,

le samedi à 17h30 et 20h30

le dimanche à 15h.

 

 

29/09/2013

Mensonge crédible

 

  

théâtre,théâtre de la madeleine,xavier daugreilh,nicolas briançonSes premières pièces parlaient d’amour. Quand j’avais publié Accalmies passagères (1997),  j’avais évoqué la cruauté des personnages de Marivaux et de Rohmer, leurs tourments, leurs doutes, et la souffrance qu’ils cachaient mal derrière leur ironie. Itinéraire bis (2001) et Futur conditionnel (2008) racontaient des amours angoissées, des renoncements, des désespoirs masqués d’humour, puis de mensonges dans Sans mentir (2008).

Xavier Daugreilh, aujourd’hui, place le mensonge au centre de son œuvre : Mensonges d’état. Et il ne parle plus d’amour, ou si peu ! L’Histoire entre en scène. Et avec quelle maîtrise !

Nous sommes en 1944, et les Alliés préparent le débarquement. Mais, pour éviter que ne se reproduise le désastre de 1942, à Dieppe*, les Anglais et les Américains décident de faire croire  que l’opération Fortitude (« courage » en anglais) qui se prépare sur les côtes normandes ne sera qu’une diversion, que le vrai aura lieu en Aquitaine ou à Calais. Il faut donc mentir à tous, et rendre « le mensonge crédible ».

théâtre,théâtre de la madeleine,xavier daugreilh,nicolas briançonD’un côté les Anglais, le colonel Bannerman (Samuel Le Bihan) et le Wing Commander Whitley (Éric Prat) et les Américains, le général Patton (Jean-Pierre Malo) et le major Banks (Michael Cohen), élaborant une stratégie complexe avec des troupes fantômes, de faux chars, faux avions, faux aérodrome, faux incendies, faux pompiers, faux télégrammes, faux messages radio - mais de vrais morts sacrifiés au nom de la raison d’état,- et, pour faire bonne mesure, un agent double : une Hongroise, Garbo Anasztazia Bàlint (Marie-Josée Croze), et René, un jeune Français (Aurélien Wiik) qui rêve d’action. Au même moment, le colonel Von Roenne, chef des services de renseignements allemands,(Bernard Malaka), de l’autre côté du Rhin épluche les messages, scrute les photos, croise les renseignements et se méfie des Anglais, sans se douter que Pietzsch, son aide de camp (Pierre Alain-Leleu) est lui-même un agent de liaison « retourné ».

Le décor de Pierre-Yves Leprince change rapidement : deux bureaux, deux lieux comme en un montage alterné cinématographique, pour des séquences rythmées, dans l’intervalle desquelles le metteur en scène, Nicolas Briançon, projette des images d’actualités de l’époque, une chanson cocardière, des musiques de Wagner et de Beethoven. Les lumières de Gaëlle de Malglaive conduisent ces changements sans temps mort. Le spectateur est emporté dans le tourbillon de l’Histoire, passionnément accroché par les péripéties et les répliques.

 théâtre,théâtre de la madeleine,xavier daugreilh,nicolas briançonXavier Daugreilh donne à son Patton la truculence ironique qui le rend vraisemblable, et aux stratèges alliés le cynisme de ceux qui sacrifient tout à leur but suprême. Il n’abandonne pas totalement les jeux de l’amour en inventant le personnage d’Anaztazia, inspiré de l'agent Garcia, alias Garbo, alias Arabal, - qui , à ma connaissance était du sexe masculin, mais "personne n'est parfait!" - et le trouble dans lequel cette femme jette le major américain induit sa fin tragique, aboutissement de toutes les manipulations des apprentis sorciers galonnés. Mais l’intérêt de Mensonges d’état réside dans l’attention que l’auteur porte à la « responsabilité des hommes », comme Shakespeare, Byron, Montaigne qu'il lui arrive de citer.

On disait souvent que seuls les auteurs anglais savaient animer leurs œuvres du souffle de l’Histoire. Après Pinter, Hare, Wesker, Harwood et Barker il faudra désormais compter avec Xavier Daugreilh.


Photos : © Pascal Victor 

 

 

 

·      * L’opération Jubilee fut une tentative de débarquement des Alliés le 19 août 1942 sur le port de Dieppe. Après neuf heures de combat, ils durent réembarquer. Près de 2000 hommes y laissèrent leur vie. Autant furent faits prisonniers.

 

Mensonges d’état de Xavier Daugreilh

Théâtre de la Madeleine

01 42 65 07 09

www.theatredelamadeleine.com

 

28/04/2012

Familiale

 

  

La mère (Catherine Hiegel) coud. Le père (Michel Aumont) ressasse. Le soir (lumières de Frank Thévenon) tombe sur le lac. Tout est de plus en plus sombre. Le printemps tarde et leur solitude croît. Plus de vie familiale. Le seul fils est parti on ne sait où, « il y a si longtemps qu’ils n’ont pas de nouvelles », parce que dans cette campagne isolée, il n’y a pas de travail. Mais ils savent aussi qu’ « il n’y a d’avenir nulle part ». Autour d’eux, les voisins partent ou meurent. « Ils trouvent ça tout naturel le père et la mère » aurait dit Prévert, car leur existence, c’est « la vie avec le cimetière ».

Dans le décor angoissant signé Jean-Marc Stehlé, Jacques Lassalle impose à ses comédiens des gestes mesurés, des déplacements rares. Une tristesse infinie sourd dès les premiers mots. Ces deux comédiens, poignants, ont ainsi construit subtilement des personnages abandonnés, qui semblent ne plus rien attendre de la vie.

Pourtant, ce soir-là, quand le car s’arrête pour déposer le voisin (Jean-Marc Stehlé) « parti faire des courses en ville »,- en réalité à l’hôpital pour un « contrôle » - le fils (Stanislas Roquette) revient. Ils pourraient courir vers lui dès qu’ils l’aperçoivent, ouvrir la porte, ouvrir leur bras, montrer leur émotion puisqu’ils parlent « tous les jours » de lui. Pas du tout, ils attendent qu’il entre, monte l’escalier. Ils restent coincés, immobiles, méfiants. Ils tendent la main, de loin, et répètent : « c’est gentil. » Le voisin leur aurait dit qu’il « était en prison ». Le croit-il ? Et le fils ? Muet, ironique, fuyant, il ne dément ni n’avoue… mais se fâche, s’en prend au voisin ivre, en lui criant : « Mais pourquoi tu racontes des choses pareilles ? »

Le voisin meurt. Le fils parle enfin : « Je n’ai pas été en prison. Je fais de la musique. Par-ci, par-là (…) et j’écris des chansons. ».

Il part, sans doute définitivement. Les parents reprennent leurs parlotes tandis que le noir lent s’installe.

De cette vie étriquée, de cette société close, le spectacle transmet un tableau très réaliste, qui devrait retentir comme une semonce pour les médiocres de la terre.

 

Le Fils  de Jon Fosse

texte français de terje Sinding

Du mardi au samedi à 21 h

Dimanche, 16 h

Théâtre de la Madeleine

jusqu'au 15 juillet 2012

01 42 65 07 09