08/02/2015
« Deux femmes vêtues de deuil »
La reine Marie (Cristiana Reali), fille d’Henri VIII et de Catherine d’Aragon est restée dans l’Histoire d’Angleterre sous le surnom de Bloody Mary. Qu’on juge donc de sa popularité ! Dans une nation déchirée par des guerres de religions, elle dut lutter contre des féodaux orgueilleux de leurs prérogatives, se défendre des accusations de bâtardise dans sa filiation, et accepter qu’on négocie son mariage comme une alliance politique et stratégique avec Philippe II d’Espagne. Pas question de romance, encore moins d’amour.
Or dans Marie Tudor, il est surtout question d’amour car Victor Hugo voit la Reine jeune et ardente. Passionnément éprise d’un aventurier napolitain, Fabiano Fabiani (Jean-Philippe Ricci) elle est aussi une femme trahie qui souffre. Simon Renard (Régis Laroche ou Pierre-Alain Leleu), légat du roi d’Espagne va se charger de démasquer le favori. Il a pour lui la cour et ses lords méprisants envers l’étranger, (Anatole de Bodinat, Stanislas Perrin, Pierre Estorges, Robin Goupil, Valentin Fruitier, Thomas Gendronneau) : « Quelle fête dans Londres, le jour de sa chute ! »
Et il a un autre atout dans son jeu. Il vient de découvrir que Fabiano Fabiani a séduit Jane (Jade Fortineau), une jeune orpheline que Gilbert (Philippe Calvario ou Benjamin Guillet), ouvrier ciseleur avait recueillie enfant et qu’il allait épouser. Simon Renard apprend aussi que Jane est l’héritière de Lord Talbot dont les biens ont été confisqués par le feu roi, et que Marie a distribués à… Fabiani. Gilbert soupçonne Jane de l’aimer moins. Elle ne répond à ses : « M’aimes-tu ? » que par de la « reconnaissance », alors que lui importe ce leitmotiv hugolien : « être aimé ». Mais leur ami Joshua (Jean-Claude Jay), porte-clés à la Tour de Londres, semble veiller sur leur bonheur.
La « première journée » se passe dans un extérieur nocturne propice aux assassinats, près du pont de Londres où les protagonistes épient le traître Fabiani car « C’est la nuit que se défont les favoris des reines. » La scénographie d’Alain Lagarde cloisonne la scène de panneaux transparents propices aux reflets et aux ombres et joue avec les entrées de la salle. On y voit Fabiani en suborneur infâme et en criminel cynique. Les costumes sombres jouent sur l’atemporalité. Le drame est noué. Gilbert, mis au courant de la trahison, promet sa vie à Simon Renard.
Puis apparaît Marie, dans l’intimité de sa chambre, royale dans sa robe de lamé or. Et c’est un éblouissement. Cristiana Reali est une Marie Tudor tour à tour sensuelle, noble, mutine, hautaine : « Qui es-tu, malheureuse créature, pour qu’une Reine s’occupe de toi ? », jalouse et perfide, « Nous autres pauvres femmes, nous ne savons jamais au juste ce qui se passe dans le cœur d’un homme ; nous sommes obligées d’en croire vos yeux, et les plus beaux, Fabiano, sont quelquefois les plus menteurs. Mais dans les tiens, mylord, il y a tant de loyauté, tant de candeur, tant de bonne foi, qu’ils ne peuvent mentir ceux-là, n’est-ce pas ? ». Elle sait être rieuse, cynique : « Si tu n’as pas de preuves, nous en ferons ! », lucide, « Tu es comme moi, tu résistes à toutes les preuves » dit-elle à Gilbert. Elle sait que son Fabiano, « trahis l’une et renie l’autre », et se montre déterminée : « Je veux qu’on ait peur, entends-tu, mylord ? Qu’on trouve cela splendide, effroyable et magnifique, et qu’on dise : c’est une femme qui a été outragée, mais c’est une reine qui se venge ! »
Mais elle hésite encore trois semaines et finalement fantasque, décide de le faire évader. Il est vrai que « le cœur de la femme est une énigme » douloureuse : « Devant l’échafaud, plus de jalousie, rien que l’amour… ». La flamboyante Marie et la douce Jane ne sont plus que « deux femmes vêtues de deuil dans un tombeau », autour desquelles gravite une horde de mâles qui réclament vengeance.
Si vous n’avez jamais assisté à Marie Tudor, c’est par celle, mise en scène par Philippe Calvario qu’il faut commencer. Le drame romantique s’y inscrit tout entier…
Photos :© Florian Fromentin
Marie Tudor de Victor Hugo
Théâtre de la Pépinière
Du mardi au samedi à 21 h, samedi à 16 h
01 42 61 44 16
14:16 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre de la pépinière, victor hugo, cristiana reali, philippe calvario, jean-claude jay | Facebook | | Imprimer
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