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10/03/2006

Les scélérats du Belvédère

  Drôle d’endroit pour passer ses vacances ! L’hôtel du Belvédère n’a qu’une seule cliente, Ada, la baronne von Stetten (Jacques Verzier), excentrique nymphomane qui entretient le patron, Strasser (Guillaume Durieux), le chauffeur, Karl (Philippe Smith), et le serveur Max (Stanislas Stanic). Jeunes hommes sans travail, ils ont renoncé à leurs rêves, se sont compromis dans de louches affaires et ont échoué en ce lieu. Soumis à la lubricité d’une femme mûre, ils se relaient pour la satisfaire. Trois petites frappes cyniques prêtes à tout pour un peu d’argent. Ceux qui les rejoignent : le représentant Müller, escroc à la petite semaine, nazillon en devenir, le Baron von Stetten (Hélène Alexandridis), joueur professionnel acculé par une dette de jeu, ne déparent pas le lot.
Avec cette comédie, Horváth peint un monde en délitescence. Quelle que soit la classe sociale dont il est issu, chacun a laissé toute espérance. Il ne reste que les plaisirs de la chair, et l’appât du gain. L’arrivée de Christine (Jeanne Henry) va les révéler encore plus scélérats.
Jacques Vincey, qui avait mis en scène avec Muriel Mayette, Les Danseurs de la pluie de Karin Mainwaring au Vieux-Colombier, et été l’assistant d’André Engel pour une autre pièce de Horváth, Le Jugement dernier, donne du Belvédère une version hardie.
On pourra lui reprocher de travestir les comédiens qui jouent le Baron et la Baronne. Mais avouez que c’était tentant. Ces faux-jumeaux qui n’ont de ressemblant que leurs cheveux roux, qui avouent que dans leur vie « il y a quelque chose qui ne tourne pas rond ». Les costumes sont atemporels. Pas de décor : juste une estrade composée de huit caissons qui, selon les actes, composent un espace différent, jouant sur l’horizontalité ou la verticalité. Au premier acte, un dédale de couloirs aboutit à une surface étroite, au second, un plateau figurant la salle à manger, au dernier, les caissons sont dressés, et deviennent les huit portes des chambres devant lesquelles chacun se rétracte et tente d’obtenir les faveurs de la naïve Christine. L’œil du spectateur s’attache à ces personnages laids et menteurs, et oublie jusqu’au moniteur de télé qui projette une image de ciel nuageux, de pluie battante, de lune dans un ciel nocturne tourmenté.

Les comédiens jouent avec leurs nerfs et les nôtres. On sort troublé, vaguement inquiet. Jacques Vincey a frappé juste.


 

Le Belvédère de Odön von Horváth

Théâtre de Gennevilliers
01 41 32 26 26

11:20 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre |  Facebook | |  Imprimer

09/03/2006

Dommage qu’elle soit sa sœur


 Giovanni (Laurent Poitrenaux) et Annabella (Fany Mary) s’aiment. Ils sont jeunes, beaux, fortunés, libres. Dommage qu’elle soit sa sœur ! Giovanni ne pourra pas épouser Annabella. Au royaume de l’Inceste, l’Amour et la Mort sont deux promis, et l’enfer les brûle sur terre comme dans l’au-delà.
Pour Dommage qu’elle soit une putain de John Ford, Yves Beaunesne a repris la traduction avec Marion Bernède. Sa mise en scène s’inscrit dans une scénographie de Damien Caille-Perret, en plan doucement incliné, sur un parquet de bois blond étrangement marqueté. Autour de ce plateau, des sièges et des prie-dieu sur lesquels les acteurs se poseront entre leurs scènes.
L’action commence dans un noir absolu, d’où s’élève, a cappella, une voix qui chante « perdone dio moi ». Un chœur de voix répond et reprend la prière, nourrissant l’émotion. La lumière monte à jardin tandis que le Frère Bonaventure (Mathieu Delmonté) s’écrie : « Ça suffit, j’en ai assez entendu ». Il tance Giovanni qui l’écoute, tête basse, pénitent agenouillé sur un prie-dieu. Un cadre étroit figure la porte de la cellule du moine qui exige le « repentir », interdit « la luxure ». Mais Giovanni n’écoute que sa passion…
Pas de ruptures matérialisées de temps ou d’espace. Tout s’enchaîne dans l’espace grâce aux jeux de lumière de Jean-Pascal Pracht. Quand Giovanni quitte Frère Bonaventure, le cadre s’enfonce dans le plancher. Soranzo (Philippe Demarle), le prétendant d’Annabella et Vasquès (Jean-Claude Fressung) son serviteur, surgissent du fond, dans la tradition des entrées du TNP de Jean Vilar. Puis Florio, (Henri Monin) le père, s’installe à l’avant, sur la gauche. Annabella qui se cache sous un immense drap, rampe, le long de l’arête droite tandis que la nourrice Putana (Claire Wauthion) lui donne de gaillards conseils pour choisir un mari.
Yves Beaunesne utilise ainsi la périphérie du plateau, puis les diagonales, enfin le centre, plaçant les comédiens sur l’échiquier du destin. C’est dans le drap que Giovanni et Annabella s’enroulent, au milieu du plateau. L’ombre complice obscurcit leurs ébats en ce nombril maternel recréé, tandis que la lumière dessine le périmètre où s’agitent Soranzo, « infâme prédateur », Hippolita (Hélène Cattin) la femme qu’il a séduite et abandonnée. Doña Anna attirait la justice divine sur Don Juan. Hippolita prépare un poison pour se venger, s’emploie à corrompre Vasquès, mais sera son propre bourreau.
Plus tard, quand il faut marier Annabella, enceinte de Giovanni, le drap limitera la chambre nuptiale, puis la chambre-prison où le mari outragé enferme « la putain ».
Des trappes s’ouvrent autour de ce lit, comme les péchés creusent les damnations. Giovanni ne se repent pas, au contraire, il brave les hommes, la loi, la religion pour rejoindre Annabella, la poignarder, lui arracher le cœur, et tuer ceux qui les ont séparés avant de s’embrocher sur le poignard du vengeur. Alors, le plancher du crime se dresse à la verticale, le drap roule à sa base, dans l’ombre du mur des supplices. Il ne reste plus que le valet, qui, comme Sganarelle, se lamente sur son sort, et le nonce en violet qui prononce l’anathème sur les amants maudits.
On admire ce retour à la simplicité, à la primauté du texte que servent brillamment tous les acteurs. La radieuse Fany Mary qui a remplacé Marion Bottolier souffrante, a appris en dix jours le rôle d’Annabella. Elle semble faite pour lui. Patrice Cauchetier  a créé des costumes dont les couleurs s’apparient subtilement, riches sans clinquant, magnifiques.
La pièce va tourner en France, à Cherbourg, à Marseille, en banlieue parisienne, en Suisse, au Luxembourg, en Belgique, ne la manquez pas.

 Giovanni (Laurent Poitrenaux) et Annabella (Fany Mary) s’aiment. Ils sont jeunes, beaux, fortunés, libres. Dommage qu’elle soit sa sœur ! Giovanni ne pourra pas épouser Annabella. Au royaume de l’Inceste, l’Amour et la Mort sont deux promis, et l’enfer les brûle sur terre comme dans l’au-delà.Pour de John Ford, Yves Beaunesne a repris la traduction avec Marion Bernède. Sa mise en scène s’inscrit dans une scénographie de Damien Caille-Perret, en plan doucement incliné, sur un parquet de bois blond étrangement marqueté. Autour de ce plateau, des sièges et des prie-dieu sur lesquels les acteurs se poseront entre leurs scènes.L’action commence dans un noir absolu, d’où s’élève, , une voix qui chante «  ». Un chœur de voix répond et reprend la prière, nourrissant l’émotion. La lumière monte à jardin tandis que le Frère Bonaventure (Mathieu Delmonté) s’écrie : « Ça suffit, j’en ai assez entendu ». Il tance Giovanni qui l’écoute, tête basse, pénitent agenouillé sur un prie-dieu. Un cadre étroit figure la porte de la cellule du moine qui exige le « repentir », interdit « la luxure ». Mais Giovanni n’écoute que sa passion…Pas de ruptures matérialisées de temps ou d’espace. Tout s’enchaîne dans l’espace. Quand Giovanni quitte Frère Bonaventure, le cadre s’enfonce dans le plancher. Soranzo (Philippe Demarle), le prétendant d’Annabella et Vasquès (Jean-Claude Fressung) son serviteur, surgissent du fond, dans la tradition des entrées du TNP de Jean Vilar. Puis Florio, (Henri Monin) le père, s’installe à l’avant, sur la gauche. Annabella qui se cache sous un immense drap, rampe, le long de l’arête droite tandis que la nourrice Putana (Claire Wauthion) lui donne de gaillards conseils pour choisir un mari.Yves Beaunesne utilise ainsi la périphérie du plateau, puis les diagonales, enfin le centre, plaçant les comédiens sur l’échiquier du destin. C’est dans le drap que Giovanni et Annabella s’enroulent, au milieu du plateau. L’ombre complice obscurcit leurs ébats en ce nombril maternel recréé, tandis que la lumière dessine le périmètre où s’agitent Soranzo, « infâme prédateur », Hippolita (Hélène Cattin) la femme qu’il a séduite et abandonnée. Doña Anna attirait la justice divine sur Don Juan. Hippolita prépare un poison pour se venger, s’emploie à corrompre Vasquès, mais sera son propre bourreau.Plus tard, quand il faut marier Annabella, enceinte de Giovanni, le drap limitera la chambre nuptiale, puis la chambre-prison où le mari outragé enferme « la putain ».Des trappes s’ouvrent autour de ce lit, comme les péchés creusent les damnations. Giovanni ne se repent pas, au contraire, il brave les hommes, la loi, la religion pour rejoindre Annabella, la poignarder, lui arracher le cœur, et tuer ceux qui les ont séparés avant de s’embrocher sur le poignard du vengeur. Alors, le plancher du crime se dresse à la verticale, le drap roule à sa base, dans l’ombre du mur des supplices. Il ne reste plus que le valet, qui, comme Sganarelle, se lamente sur son sort, et le nonce en violet qui prononce l’anathème sur les amants maudits.On admire ce retour à la simplicité, à la primauté du texte que servent brillamment tous les acteurs. La radieuse Fany Mary qui a remplacé Marion Bottolier souffrante, a appris en dix jours le rôle d’Annabella. Elle semble faite pour lui. Patrice Cauchetier  a créé des costumes dont les couleurs s’apparient subtilement, riches sans clinquant, magnifiques.La pièce va tourner en France, à Cherbourg, à Marseille, en banlieue parisienne, en Suisse, au Luxembourg, en Belgique, ne la manquez pas.

 

 


Spectacle vu à La Coursive de La Rochelle

10:10 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre |  Facebook | |  Imprimer

01/03/2006

L'industrie du siècle

Kolb dirige une entreprise familiale dans une Allemagne ruinée par la guerre de  1914-1918. Krüg revient du front et cherche du travail. Gertha (Stéphanie Pasquet), la femme de Kolb cherche un amant jeune et ardent. Hermann Kolb (Jean-Yves Duparc) est cupide, Otto Krüg (Xavier-Valéry Gauthier) est ambitieux. Ces trois-là vont s’entendre si bien, qu’en 1937, ils lèvent leur verre à la prospérité retrouvée : « au bébé, à la maman, et au crématorium », avec Ritter (Brontis Jodorowsky), le responsable nazi de l’usine, Hilde (Anne-Sophie Pommier-Dupré) la secrétaire et  Ferlich (Rainer Sievert), le « juif utile », qu’on garde dans la firme, parce qu’on en a « besoin ». Plus tard, Schwartz (Yves Lecat) fera appel à la maison Kolb et Krüg pour organiser à Auschwitz l’incinération rapide des corps. Car dans un Etat totalitaire, tout est planifié.
Un siècle d’industrie de Marc Dugowson est une pièce terrible au sens propre du terme. Elle montre sans discours, sans jugement, comment on installe la terreur dans un pays. Comment, de petites lâchetés en non-dits, de dénonciations en menaces, on asservit la population, on annihile toute pensée. Sur le terreau fertile de la cupidité, la dictature prospère. Paul Golub a mis la pièce en scène avec sobriété. Il a demandé froideur et fébrilité aux comédiens. C’est efficace, et glaçant.
Ce n’est pas un « théâtre de digestion », ni un théâtre « didactique », c’est un théâtre qui interroge le spectateur, dérange ses habitudes, exige qu’il réfléchisse. Car la barbarie n’est pas morte. Elle reste l'industrie du siècle, celle qui enrichit... En Afrique, en Asie, en banlieue, elle barbote dans des marigots d’ignorance dont profitent les scélérats.

 


Texte publié à L’Avant-Scène théâtre, avec dossier, 14 €
Consulter aussi Theatreonline.com

 

 

15:40 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre |  Facebook | |  Imprimer