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12/03/2007

Un homme sans volonté

  Galy Gay (Hugues Quester) n’est pas un méchant homme, mais c’est un faible. « Il ne sait pas dire non », dit sa femme (Sarah Karbasnikoff). Effectivement, quand il rencontre la Veuve Begbick (Marie-Armelle Deguy), il accepte de la suivre, et quand trois soldats embringués dans une sale affaire lui demandent de remplacer leur quatrième acolyte, Jeraiah Jip (Stéphane Krähenbühl), il consent à leur rendre service. Il entérine leurs trafics, et après avoir renié par trois fois sa femme (Ô saint Pierre ! tu as montré le mauvais exemple !), il change définitivement d’identité, choisit l’armée, les mensonges des brutes, et devient un tueur. L’homme sans volonté était sans désir. Une pâte d’homme, dit-on, de ces êtres prêts à tout parce que bons à rien, et que les chefs peuvent manipuler. « Traitez-les comme de la boue, ils deviendront de la boue » disait Malraux. L’armée traite un homme en soudard, et il est incorporé dans cette « section qu’on appelle les raclures ».

Emmanuel Demarcy-Mota présente des militaires embarqués dans une aventure coloniale, pacification ou conquête, il ne choisit pas. Les costumes de Corinne Baudelot, atemporels, ne fixent ni le temps, ni l’espace. Brecht montre des militaires cruels, injustes, dominateurs, pourris. Les soldats (Gérald Maillet, Jauris Casanova, Sandra Faure) sont cupides et avides de plaisirs. Le sergent Fairchild (Philippe Demarle) est rigide, et les indigènes, (Charles-Roger Bour, Pascal Vuillemot, Laurent Charpentier) assez pervers. C’est un monde de haine où pas une figure positive donnerait quelque espoir. La pièce plonge vers le mal absolu : « à quoi bon la justice ? ». Si n'importe quel homme peut remplacer le premier venu, à quoi bon vivre ?

Dans la scénographie et sous les belles lumières d’Yves Collet, le décor mouvant, les déambulations, les structures à transformations, induisent un esthétisme trompeur souligné par l’environnement sonore (Jefferson Lembeye et Walter N’Guyen) et l’apparition onirique d’une harpiste (Constance Luzzati).

Ce n’est plus une société qui avilit l’homme mais un rassemblement de compagnons dans lequel l’homme sans qualités cherche à s’intégrer : « un type comme lui, se transforme de soi-même ». Adhérer aux crimes par lâcheté, puis les conduire lui-même ne  pose aucun problème moral à ce héros sans âme : « ce qui fait obstacle, il faut l’éliminer ». Est-ce par goût,  par volonté de se soumettre à l’ordre établi, par besoin d’être dominé ? Hugues Quester qui avait donné tant d’ambiguïté au Père de Six personnages en quête d’auteur, et magnifiquement joué l’insoumis dans Rhinocéros, semble ici plus mal à l’aise « pour franchir la frontière ».

Le problème d’être soi-même reste irrésolu. Comment penser l’individu, face à cette machine à écraser qu’est l’armée, face à la société qui devrait rendre l’homme meilleur et le transforme en machine à tuer ? 

 

 

Homme pour homme de Bertolt Brecht

Du 6 au 24 mars au Théâtre de la Ville

01 42 74 22 77

11:25 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre |  Facebook | |  Imprimer

06/03/2007

Adam et Ève sont en enfer


Elle a de la chance, la jolie Ève (Julie Denisse), elle vient d’épouser, le matin même, Adam (Olivier Werner), jeune ingénieur qui construit des ponts. Ils ont une chambre dans un appartement communautaire chez Ania (Sabine Macher), et ils peuvent partir en voyage de noces. Adam croit en l’avenir radieux du communisme, à l’organisation sans faille de l’Union soviétique, et à la science. Boulgakov, qui écrit cette œuvre en 1930 commence à en douter. Mais on n’a pas le droit de le dire au pays de la liberté rouge, et sa pièce sera interdite.

Il est vrai que ses interrogations passent la frontière du scepticisme et qu’il ne ménage guère ses dirigeants. Que nous montre-t-il ?

Un savant idéaliste Efrossimov (Axel Bogousslavski), au lieu de créer des armes de destruction massive pour le gouvernement de son pays, invente un rayon destiné à protéger ses frères des attaques chimiques. Efrosimov est un doux rêveur qui soigne même ses ennemis : Daragan (Miloud Khetib), Markisov (Philippe Smith), et s’émeut quand il entend des chiens pleurer. Pire, Efrosimov veut confier  sa découverte, non pas au comité, mais à « tous les pays à la fois », pour « sauver l’humanité du malheur ». Daragan charge Pontchik (Armen Godel), de le dénoncer, à la milice et aux camarades syndicalistes, avant de rejoindre son escadrille de chasseurs, et avant que la grande conflagration ne détruise entièrement Léningrad. Le communisme n’était peut-être pas le paradis, mais, brutalement, Adam et  Ève  plongent en enfer. Grâce au rayon inventé par Efrossimov, les protagonistes qui ont accueilli le savant chez eux, survivent. Sous la férule d’Adam, ils réorganisent une  communauté d’après l’apocalypse, dans la forêt protectrice. Tout n’est pas pour le mieux dans ce monde impossible. La fin est pessimiste et Adam reste seul dans son purgatoire.

La mise en scène de Daniel Jeannete au peint cette désespérance. Le premier décor est gris, étriqué, l’espace est rétréci. Adam et Ève, tout à leurs certitudes heureuses, prennent des poses calquées sur les images de propagandes  que démentent les protagonistes se glissant avec gêne autour de la table, et le mur du fond, qui a, sinon des oreilles, du moins un œil en forme de judas, corrobore cette impression de malaise. Les décors suivants, dans leur naturalisme, accentuent encore l’irrésistible terreur. Metteur en scène et comédiens défendent ici avec maîtrise, la grand œuvre dramatique  d’un théâtre militant et poétique

On sort sidéré d’un tel génie prémonitoire. Et bouleversé par le sort des personnages qui se débattent pour rester des hommes.

Adam et Ève de Mikhaïl Boulgakov

Traduction de Macha Zonina et Jean-Pierre Thibaudat

Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis

Du 5mars au 8 avril

01 48 13 70 00

17:20 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre |  Facebook | |  Imprimer

04/03/2007

Questions de plateau



Il existe, en décentralisation, des lieux qui soutiennent la jeune création contemporaine. Pierre Soler, directeur de la Maline avait modulé sa salle de façon à ce que les spectateurs se trouvent autour d’un « atelier de mécanique ».

Qu’y a-t-il de commun entre la mécanique et le théâtre ? Rien, diront les intellectuels, beaucoup de choses diront les artisans qui fabriquent des pièces et du théâtre. Tout, affirme Jean-Philippe Ibos, auteur et metteur en scène, dont le père était mécanicien.

Père et fils, voilà un beau sujet dramatique, dit le fils, depuis Œdipe et les anciens jusqu’à Beckett, et Chéreau ! Sans oublier Molière, dit le père qui se souvient de Géronte, dans Les Fourberies de Scapin que la maîtresse d’école faisait apprendre par cœur. Étonnement du fils. Fierté du père. Mais « ça l’intrigue », le père, ce théâtre contemporain où il n’y a plus, ni scènes, ni personnages, ni début, ni fin, autres que ce qui est délimité par « lumière » et « noir ». Son fils écrirait donc des « fragments », des « tranches » comme du cake, des « pièces détachées », comme en atelier. Et il y aurait des spectateurs. Étonnement du père, fierté du fils.

L’Atelier de Mécanique générale contemporaine, sous la direction de Jean-Philippe Ibos joue là un théâtre qui s’inspire des rapports du père et du fils, du vocabulaire identique, des gestes répétitifs, de l’espace de travail. Ne parle-t-on pas du "plateau d’embrayage", du "plateau de frein", de pédalier, et du "plateau scénique" ? De "monter une pièce" et de monter (et démonter) les pièces d’un moteur, d’une auto, d’une « mobylette » ? Et la mobylette n’est-elle pas le premier engin offert à l’adolescent pour lui apprendre la vie sociale et l’indépendance ?

Hubert Chaperon et Marc Depond forment la chaîne de transmission, accompagné par l’auteur et une mécanicienne (Irène Dafonte Riveiro en alternance avec Edith Gambier) qui forment un chœur et un coryphée. Le père sifflote la chanson de Chérubin, le fils et ses choristes psalmodient les numéros des pièces et des outils nécessaires pour réparer la mobylette en panne.

Il est si difficile de se parler sans se juger, de s’expliquer sans blesser, de se dire sa piété sans s’attendrir. Ironie et tendresse nourrissent les dialogues. Savoirs manuels et acquis intellectuels s’entrecroisent et s’enrichissent. De ces échanges naît une vraie comédie avec des interprètes aussi aguerris aux changements de tons que le groupe Tg Stan dans ses plus audacieuses représentations.

De la belle ouvrage !

Mobylette de Jean-Philippe Ibos

le 2 mars à La Maline (La Couarde-sur-Mer)

- le 21 avril à Cénac (33)
- le 5 mai à Morsang sur Orge (91)
- le 24 mai à Ifs (14)
- le 25 mai à La Hague (50)
- le 29 mai à Fleurance (32)
 Et à Avignon Présence Pasteur à 18 h 15 pendant le festival d’Avignon

18:40 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Théâtre |  Facebook | |  Imprimer