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07/04/2007

La Transfiguration de Midi

Le Ernest Simons , ce paquebot qui mena le jeune Claudel vers son poste consulaire en Chine, n’était sans doute pas un voilier. Mais quand Yves Beaunesne fait grincer les haubans dans les guindeaux, quand la trinquette claque entre les cordages et que les protagonistes tanguant sur le plateau lisse et nu s’y accrochent, secoués par les tempêtes de leur âme, tous les spectateurs s’embarquent dans un voyage claudélien que la scénographie de Damien Caille-Perret  et les lumières d’Éric Soyer rendent incandescent.

Nous ne redirons pas ici comment le souvenir du vécu passionnel fut transformé lentement, et comment Claudel réinventa sa vie en l’écrivant. Fruit de cette maturation, chéloïde d’une déchirure éternelle, Partage de midi est une des plus belles pièces du répertoire, et Ysé une des plus belles créatures que le Théâtre nous ait données.

La Comédie-Française nous offre une œuvre parfaite dans une distribution éblouissante.

Marina Hands incarne une « guerrière, une conquérante, une jument de race », belle et désirable dans une robe rouge, courte, atemporelle. Elle figure une femme instinctive, « Personne ne m’ appris », dit-elle à Mesa. Elle est charnelle, piaffante, mue par des désirs matériels que contredisent des élans mystiques obscurs qu’elle ne sait ni nommer, ni canaliser. « Je veux qu’on ait besoin de moi »  dit-elle.

Éric Ruf joue Mesa en être christique,brûlé du soleil de la Foi. « Qu’y a-t-il entre vous et moi ? » dit-il à Ysé, en écho à l’interrogation du Fils de l’Homme pour sa Mère. Pour Ysé la blonde, qui, comme Yseult trahit son mari, il transgresse l’interdit, accepte la flagellation et porte sa blessure comme des stigmates. Dès la première scène où ils retiennent l’aveu, on sait qu’ils luttent pour s’arracher l’un de l’autre alors que l’amour les possède et que corps et âme se cherchent pour se confondre et s’unir.

L’amour chez Claudel se nourrit des Évangiles et des Psaumes. La parole  divine traverse la parole d’amour . Dans le : « Je suis Ysé » résonne : « Je suis celui qui est », comme si de toute évidence, elle était cette femme que Mesa attendait pour que sa vie commence. La comédienne est prodigieuse : Ysé affirme : « Non, il ne faut point m’aimer », Marina Hands s’approche pour bâillonner Mesa de ses mains et « tout est dit », l’amour est consommé, presque devant témoins.  Le geste d’une sensualité folle est alors anéanti par la claque amicale qu’elle assène sur le dos d’Amalric, en vieille copine familière des propos misogynes. Car Ysé est un être de contradictions autant que d'amour et chaque geste de Marina Hands pétrit des chemins opposés. 

Christian Gonon interprète avec dignité le mari aveugle, un peu suffisant, qui pense que les liens de la maternité la retiendront. Comme il est pitoyable avec son désir de lucre celui qui ne comprend pas le danger et « aime mieux ses manigances » ! Hervé Pierre campe un Amalric tel que devait être le fonctionnaire colonial qui servit de modèle : « jovial, exubérant », sympathique et odieux à la fois. Par son goût du lucre : « De Ciz, nous deviendrons tous riches », Amalric semble plus proche du mari que de l’intransigeant Mesa.

Nous voici donc « entre les mains », non pas de Dieu, mais d’un metteur en scène inspiré (c'est pareil, dirait un auteur dramatique). Et « comme un affamé qui ne peut retenir ses larmes », nous partageons les tourments et la rédemption. Car, malgré la douleur et la mort, Ysé est « sauvée »… Et nous avec elle.

Elle s’avance pieds nus, en chemise blanche. Elle émerge de la nuit du péché et s’agenouille comme une pénitente près de Mesa. La lumière monte pour le Pardon et la « transfiguration de Midi. » Sublime !

 

 

Partage de midi de Paul Claudel

En alternance à la Comédie-Française salle Richelieu

0825 10 16 80

14:19 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Théâtre, littérature |  Facebook | |  Imprimer

06/04/2007

Cinq sur cinq

 

Ils étaient cinq chanteurs classiques qui n’aimaient pas seulement l’opéra, mais toute la musique, tout ce qui se chante, y compris, la soul, le disco, le rock et surtout la variété, dans toutes les acceptions du terme.

Pascales Costes et Karine Sérafin sont sopranos, Sandrine Montcoudiol est alto, Nicolas Kern, ténor, et Xavier Margueritat, baryton. Et à eux cinq, ils forment un chœur et un orchestre.

Car ils chantent a cappella, et n’hésitent pas à jouer les airs connus sur leurs cordes vocales : les pizzicati de Sylvia, l’ouverture d’Il était une fois dans l’Ouest, le thème de James Bond, ou de la Guerre des étoiles. Stupéfiants, ils sont stupéfiants d’audace et d’humour…

Et quelles voix ! souples et rigoureuses, fantaisistes ou graves, ils ne respectent que le tempo et la musique. Ils adorent la parodie et n’hésitent pas à jouer très commedia dell arte. Il faut entendre l’air des bijoux cascadé à plusieurs voix, réécouter les succulentes paroles que Poiret avait imaginées sur la chanson de Brel, La Valse à mille temps  devenue La vache à mille francs. Il faut découvrir la petite comédie sur Johnny Palmer  et voir comment « Mona Lisa » entonne « Quoi ma gueule ? ».

Depuis les Frères Jacques, on n’avait pas, je crois, renoué avec ces jeux de voix, ces parodies de classiques, ces décalages musicaux, qui créant la surprise, débrident les spectateurs. Dans les lumières signées James Angot, la mise en scène de Marc Locci conduit le quintette au bout des rires et des envies. Qu'ils soient en combinaisons beiges ou en tenues légères de couleurs primaires et criardes, les Chasseurs de sons, rameutent tous les gibiers. Explorateurs de voix, ils deviennent des passeurs de musique et des créateurs de joies.

Un peu cinglés, et tout à fait jubilatoires, ces Cinq de cœur sont reçus cinq sur cinq !

Cinq de Cœur Depuis le 8 mars

A la Pépinière Opéra, à 21 h

01 42 61 44 16

08:10 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre, chanson |  Facebook | |  Imprimer

05/04/2007

Le nom du Père

  Les grands prix littéraires portent un nom, celui de l’Académie qui les décerne : « Goncourt », par exemple, ou celui d'un parangon : "Prix Gérard Philipe", ou d’un fondateur : « Prix Nobel ».

Le Grand  Prix de littérature dramatique, trois ans d’âge, aurait pu s’appeler du nom du ministre qui l’a créé : « Donnedieu de Vabres », ce qu’une famille de grands serviteurs de l’État n’aurait pas, je pense, désapprouvé.

Mais vous connaissez la sensibilité des théâtreux. Il valait mieux trouver un nom parmi les auteurs dramatiques. Le nom du père instruirait alors des qualités du fils. 

Prix Beaumarchais ? C’était déjà pris.

Prix Molière ? Un nom internationalement connu et reconnu par tous ceux qui, sur cette planète pratiquent le Théâtre, il jouit d'une excellente réputation. Mais on a craint, en haut lieu et ailleurs, qu’il n’y ait confusion avec Les Molières. Aurait-ce été si grave ?

Au nom du Père, ne froissons pas les susceptibilités claniques…

Alors ? Prix Corneille ? Trop classique !

Pourquoi pas : Prix Hugo ?

Ah ! en voilà un qui y croyait, à la littérature dramatique, et qui faisait même office de metteur en scène, n’hésitant ni à retoucher un décor, ni à contrarier Mademoiselle Mars en personne…

Il a tâté de tout, roman, essais, poésie, et son œuvre génère autant d’adaptations que la Bible. À Londres par exemple, ses Misérables  tiennent l’affiche depuis décembre 1985. Il y a eu 24 millions de spectateurs à Londres, 40 millions dans le monde entier : 27 pays et 16 langues différentes.

Alors, prix Hugo ? Qu’en pensez-vous ?